Benoît Raphaël

Le flop Cantona : peut-on faire la révolution sur les médias sociaux ?

8 Décembre 2010 , Rédigé par Benoit Raphaël Publié dans #Weekly, #just delivered, #bankrut2010, #buzz, #Eric Cantona, #facebook, #médias sociaux

Le buzz est parti de la presse quotidienne régionale. Etienne Mvé, le journaliste de Presse Océan qui a réalisé l'interview vidéo le 8 octobre pour Presse Océan résume le parcours du buzz à l'excellente Aude Courtin du Post.fr : "On a fait cette interview le 8 octobre, le jour même, c'était en ligne. La vidéo a été reprise par Alex Hervaud (journaliste à Ecrans.fr et ancien journaliste de Presse Océan) sur Twitter. C'est bien parti grâce à lui, ça a commencé à tourner sur Facebook, puis une émission de radio, puis un passage sur Canal et LCI. Une fois que la page Facebook a atteint les 10.000 fans en novembre, l'AFP a fait une dépêche. Et là, c'était totalement parti." L'histoire, vous la connaissez : le 8 octobre le footballeur Eric Cantona expose son idée : si trois millions de personnes retirent leur argent des banques, le système s'effondre. Voilà la nouvelle révolution. Et elle partirait d'Internet. L'idée fait son chemin. Un site Internet, Bankrun 2010, est créé, une page Facebook et une date fixée : le 7 décembre, tout le monde devait retirer son argent.Résultat : si on a beaucoup parlé de Cantona, plaisanté sur son épouse qui avait tourné une publicité pour une banque (le contre-choc du buzz), la révolution promise a fait un flop. Si on observe la parcours de cette histoire, on retrouve les principales étapes de la formation d'un buzz plus médiatique que web :  une phrase tirée d'une vidéo dans la presse locale, que le journaliste n'avait pas forcément relevée au début. La phrase est relayée par journaliste sur Twitter. Ce qui alerte d'autres journalistes qui relaient les propos de Cantona. Le mouvement se structure sur Internet, notamment via Facebook (pas par Cantona lui-même). Puis l'AFP intervient, c'est là que le buzz décolle vraiment et fait le tour de monde (de l'Angleterre, surtout, où Cantona est une star). Sur Google, "bankrun 2010" donne 400.000 résultats, et "Cantona banque" 3,8 millions. La page Facebook, elle, rassemble 10.000 puis 39.000 membres au final. Ce qui est assez peu compte tenu du fait que 600.000 personnes avaient été invitées à y participer (on reste tout de même au dessus de l'incontournable 5% de retour marketing, mais nous parlons de buzz). Alors, peut-on faire la révolution sur Facebook et Twitter ? "Non", expliquait Malcom Gladwell dans un long article dans le New Yorker en octobre dernier: "Pourquoi la révolution ne sera pas twittée". Relativisant le rôle de Twitter en Iran ou de Facebook dans les mobilisations, l'auteur estime que les liens créés sur les réseaux sociaux sont trop "faibles" ("weak ties") pour servir de colonne vertébrale à une révolution, une vraie révolte. Les médias sociaux sont capables de rassembler rapidement des internautes autour d'une cause, utile ou futile, vengeresse ou généreuse (on le voit régulièrement sur le forum 4Chan). Ces "weak ties" dont parle Gladwell, c'est à dire ces relations faibles, rapides, qui s'inscrivent dans le flux papillonnant du web, basées sur des amis qui ne sont pas vraiment des amis, ne peuvent consituer un groupe suffisamment solide pour tenir le choc et la durée d'une révolution. Gladwell n'a pas tort. Mais pas entièrement raison :
  1. Facebook et Twitter trop virtuels ? De moins en moins. Si Facebook a apporté une nouvelle définition au mot "ami" (vous avez vos amis, et vos "amis Facebook"), il n'en demeure pas moins (c'est moins vrai pour Twitter) que le réseau social reste une extension de notre vie réelle. C'est d'ailleurs ce qui a fait son succès : cette capacité à nous affranchir du virtuel et faire fusionner le quotidien avec le réseau.
  2. La "révolution Cantona" n'a pas vraiment rassemblé sur Facebook, mais surtout fait parler d'elle dans les médias. 40.000 membres, c'est très peu sur Facebook. Si le mouvement n'a été largement diffusé, s'il a ouvert un débat, fait sourire, l'action proposée n'était pas réaliste. Les protagonistes pas suffisamment crédibles sans doute.
  3. Morales vs. Cantona : Dans "The Facebook Effect"' David Kirkpatrick raconte la fascinante épopée Facebook d'Oscar Morales. En janvier 2008, scandalisé par l'attitude des Farc, comme de plus en plus de Colombiens, ce il décide de créer une page Facebook, la première, pour protester contre le mouvement guérillero. Il crée sa page tout seul, dans sa chambre, un soir. "C'était comme une thérapie". Le lendemain, il avait déjà 15000 membres. Un jour plus tard, ils sont 8000. A la fin de la journée, Morales décide de créer un "événement" sur Facebook : une marche de protestation. Elle a lieu un mois plus tard. 10 millions de personnes défilent dans les rues de Bogota. Plus 2 millions dans le monde. L'effet Facebook. Pas une révolution, une seule journée, mais une vraie capacité à mobiliser. Et ensuite ?
Si l'on n'a pas encore fait la révolution via les médias sociaux, ils permettent de s'organiser et de capillariser. La campagne d'Obama s'est en partie construite sur l'exploitation des réseaux sociaux en permettant aux militants de recruter parmi ceux de leurs amis qu'ils pouvaient estimer intéressés par la cause et en les aidant à s'organiser entre eux. Néanmoins, le parti conservait le contrôle du message, même si ce dernier pouvait être adapté, personnalisé par les militants pour en faciliter la diffusion.. Les réseaux sociaux sont des facilitateurs, des accélérateurs de cause, mais ils ne suffisent pas pour tenir une cause. Leurs outils sont virtuels, mais ils ne sont efficaces qu'à partir du moment où ils s'entremêlent avec le réel et l'action quotidienne. C'est le fameux "mix", qui doit prendre le pas sur le "shift". On ne bascule pas du réel vers le Net, on utilise le Net pour accélérer et étendre le réel. Illustration  : Eric Cantona et sa femme Rachida Brakni, lors d'une Fashion Week (REX/Daily Telegraph)
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :