La révolution en Egypte aurait-elle pu avoir lieu sans Facebook ?
C'est la question qu'a posé Rémy Ourdan, du Monde, à une batterie d'experts et de témoins, sans apporter de réponse claire. Ce week-end, l'histoire de cette petite fille égyptienne que ses parents ont appelé "Facebook", comme on si on disait "Liberté" a fait le buzz. Facebook, j'écris ton nom ?
En Egypte, la page Facebook "We are all Khaled Said" (verison anglaise ici) (baptisée du nom d'un jeune homme torturé et battu à mort par des policiers à Alexandrie le 6 juin 2010) a été créée par le directeur marketing de... Google Moyen-Orient, Wael Ghonim, rappelle Rémy Ourdan.
A sa sortie de prison, Ghonim est devenu un symbole. Pour lui, "This revolution started online. This revolution started on Facebook...This is the revolution of the youth, of the Internet and now the revolution of all Egyptians." (cette révolution a démarré online. Cette révolution a démarré sur Facebook. C'est la révolution de la jeunesse, de l'Internet et maintenant celle de tous les Egyptiens).
Ceci dit, la page "We are all Khaled Said" a fait moins de fans (914.000) que le site GoBarbra, qui permet de rajouter votre nom dans une chanson et qui a rassemblé plus d'1,5 million de "like"... Tout est relatif dans le monde du buzz. Mais c'est tout de même plus d'1% de la population, et 20% des membres de Facebook en Egypte.
Difficile de dire ce qui a été le vrai déclencheur de la révolution, qui relève plutôt du Tipping Point : un faisceau de conditions et de personnes clefs qui font s'embraser un terrain bien préparé. Cependant, les médias sociaux ont clairement joué le rôle de catalyseur, voire d'accélérateur. Plus encore en Egypte qu'en Tunisie. A tel point que les autorités ont tenté d'enrayer la machine en coupant Internet dans tout le pays. En vain.
Sans doute était-il trop tard, sans doute en coupant l'accès au Net, le gouvernement en a fait un symbole. Et dans une révolution, les symboles sont comme des bidons d'essence. Prêts à enflammer la rue. Il n'y avait pas que Facebook, ni Twitter, il y avait une situation explosive, la chute de Ben Ali en Tunisie, les événements sanglants... mais "Internet nous a permis d'amener (les gens) dans la rue, de diffuser des informations politiques et des détails logistiques", analyse le blogueur Wael Abbas pour Le Monde.
En Egypte, 5 millions d'internautes sont sur Facebook (pour 80 millions d'habitants). 20% de la population est connectée. Selon Techcrunch, Facebook a noté une croissance des connections égyptiennes le mois dernier, avec 32.000 groupes créés et 14.000 pages de fans. 5 millions, cela suffit sans doute à faire descendre les jeunes dans la rue. Entraînant le reste de la population ? La militante Mona Seif constate sur Le Monde que "la révolution n'aurait peut-être pas eu lieu sans ces outils, car il aurait été difficile de mobiliser les gens.
En revanche, à partir de la manifestation du 25 janvier, Facebook et Twitter n'ont joué qu'un rôle marginal. Ce ne fut pas une révolution 2.0, ce fut une révolution de rue. Les gens seraient de toute façon restés place Tahrir jusqu'à la chute de Moubarak." L'an passé, Malcom Gladwell ouvrait la polémique en écrivant : la révolution ne se fera pas sur Facebook ni Twitter. Pour lui, les liens créés sur les réseaux sociaux sont trop “faibles” (“weak ties”) pour servir de colonne vertébrale à une révolution, une vraie révolte. Les médias sociaux sont capables de rassembler rapidement des internautes autour d’une cause, utile ou futile, vengeresse ou généreuse. Ces “weak ties” dont parle Gladwell, c’est à dire ces relations faibles, rapides, qui s’inscrivent dans le flux papillonnant du web, basées sur des amis qui ne sont pas vraiment des amis, ne peuvent consituer un groupe suffisamment solide pour tenir le choc et la durée d’une révolution.
Les événements en Tunisie, puis en Egypte lui ont-ils donné tort ?
Un peu. Mais pas complètement. Si les médias sociaux ont aidé les habitants à communiquer entre-eux, à faire émerger des symboles, des images fortes dont les médias se sont emparées, à maintenir la pression, peut-être même à se rassembler rapidement depuis n'importe quel lieu, prenant de cours les autorités, le reste, la révolution, les "strong ties", se sont noués dans la rue, sous les balles, les coups, et les chants. Prochaine étape en Libye, en Syrie (où un blogueur est devenu un nouveau symbole de la révolte au Moyen-Orient), au Maroc... où explosera la prochaine révolution ?
"Ask Facebook", répond Wael Ghonim sur CNN... A lire également sur la Social NewsRoom : Peut-on faire la révolution sur les médias sociaux ? Tunisie : Internet, catalyseur de révolution Hypercities : (re)vivre la révolution sur Twitter