GOOGLE VS BELGIQUE. Qui a tort ?
Utime pied de nez à ses détracteurs (que l'ami Emmanuel Parody pourrait appeler 'posture du Manneken-Pis"), Google a décidé de rayer de la carte de l'Internet la presse belge francophone. Rayer du web : Google a bien ce pouvoir là, ou presque, puisque le moteur de recherche concentre plus de 80% des recherches sur le web et amène plus de 30% de trafic aux sites d'informations. Cette ultime péripétie est la dernière d'un long bras de fer entamé par Copiepresse, qui rassemble l'essentiel des éditeurs de presse belges francophones et Google sur l'indexation de leurs contenus sur le moteur de recherche et sur Google News. La presse belge voulait faire payer Google. La justice lui a donné raison le 5 mai dernier. Résultat : le 15 juillet, Google a décidé de les dé-référencer purement et simplement.
Pris à leur propre piège, les éditeurs de presse sont furieux. Ils estiment que Google va trop loin. Google répond qu'elle ne fait qu'appliquer la décision de justice à la lettre. Démonstration de force ? Réaction à l'absurde par l'absurde ? Abus de position dominante ou suprême dédain face au "nain" belge ? Finalement, qui a raison et tort dans cette histoire ?
Tout d'abord, la presse belge a raison de dire que Google va au delà de ce que lui demande la cour d'Appel de Bruxelles.
Le grief constaté par Copiepresse concernait l'indexation dans Google News d'une part, et le stockage des articles dans le service de "cache" de Google search. Ce dernier permet à l'internaute de voir intégralement une ancienne version d'article qui aurait été retirée du site de presse. Une fonctionnalité bien utile, soit dit en passant, et souvent exploitée par les journalistes dans leurs enquêtes (lorsque ceux-ci savent l'utiliser).
La cour d'Appel semble ne statuer que sur cette demande, mais le verbatim, il est vrai, n'est pas très clair : la cour demande le retrait de Google.be et Google.com et plus particulièrement des liens en cache visibles sur "Google Web". Ce qui a laissé à Google une petite marge de manoeuvre.
Il aurait donc suffit, estiment les éditeurs belges, que Google retire les articles de la presse belge de Google News et n'indexe plus les articles en cache. Mais Google est allé plus loin en ne référençant plus aucun article. Google n'est pas en tort. On pourrait juste leur reprocher de ne pas avoir fait dans la finesse.
Le problème c'est que Google a pris tellement d'importance dans l'écosystème du web et mobile que rayer un média de sa liste revient, quoi qu'en dise Ruppert Murdoch, à le faire quasiment disparaître du chemin de l'utilisateur. Et donc lui couper toute opportunité de business. D'où la colère des éditeurs belges. Imaginez la presse papier si tous les kiosques à journaux disparaissaient...
Pourrait-on, à l'inverse, forcer Google à référencer un média ? Il faudrait pour cela invoquer un dommage dû au non-référencement. Pour reconnaître une sorte de droit à être indexé par Google, il faudrait alors prouver que Google apporte du business aux médias... Ce qui du coup remettrait en cause la demande de la presse belge. Soit Google vous apporte du business, soit il vous en retire. Il faut choisir son camp. Et pourquoi, dans ce cas, à moins de pinailler sur des points de droit, demander un dé-référencement de Google News et pas de Google search ?
A ce propos, quand on lit en détail la décision de la cour d'Appel on se rend compte que celle-ci élève son argumentaire à un niveau de complexité incroyable qui revient à dire (je résume et grossis le trait) que l'on peut reprendre des courts extraits d'une information sans en demander l'autorisation à son auteur à condition de la supprimer peu de temps après (dans un délai que la cour apprécie à moins de 30 jours, mais sans être plus précise, se contentant de dire que la reprise doit être justifiée par la nécessité de donner l'information rapidement), sauf si cette citation sert d'appui à un commentaire. De quoi s'arracher les cheveux !
Au delà de cet imbroglio juridique, qui ne va pas aller en s'arrangeant, vu la vitesse à laquelle évoluent les usages (quid du partage sur Facebook, repris par des sites de tops comme "les Buzz" ? Quid des aggrégateurs intelligents comme Zite et Flipboard ?), la question reste ouverte : s'il ne faut pas confondre révolution des usages et loi de la jungle, quel intérêt a aujourd'hui la presse à s'acharner de cette manière contre Google et consorts ?
Il n'est pas sérieux de penser que la disparition de Google News pourrait redonner du trafic aux sites d'infos. On peut raisonnablement supposer que si Google stoppait son service de news (qui ne lui rapporte pas d'argent en France, ni en Belgique) l'attention des internautes ira s'éparpiller ailleurs. et qu'il sera sans doute plus difficile encore à la presse de dresser ses panneaux publicitaires "lisez mon article!" dans la jungle du web et du mobile. Mais c'est un autre débat...
On peut comprendre que la presse ait envie de recevoir sa part du gâteau, mais ce n'est pas en attaquant Google frontalement qu'elle y parviendra. D'ailleurs, ce fameux gâteau ne se fait pas sur Google News (il n'y a pas de publicité sur le site) mais sur le Search, que la presse belge n'attaque pas...
On pourrait aussi penser que pour "recevoir sa part du gâteau" elle pourrait commencer par essayer d'attirer le plus intelligemment possible l'attention des internautes, en le faisant interagir notamment, ou en s'inspirant de eux qui savent mettre en scène l'info sur les médias sociaux, et d'essayer de mieux monétiser ce trafic. Ce n'est pas la faute de Google si la presse a du mal à monétiser ses contenus. C'est, à la limite, à cause d'Internet qui génère de nouveaux usages. Mais autant dire la faute à l'électricité et à l'eau courante.
Et lorsque l'on entend le patron du digital du Soir.be déclarer : "S'appuyer sur le business d'un autre pour faire son propre business, c'est mal", on peut se dire que la presse belge a encore du chemin à faire. Internet c'est justement la capacité de de s'appuyer sur le business des autres pour faire son propre business. Ceux qui ne comprennent pas cette loi sont voués à disparaître.
Pour autant, il ne faut pas non plus ignorer le danger que constitue la position ultra-dominante de Google dans la circulation des informations. Il n'est pas très rassurant en effet de savoir qu'un pan conséquent de l'économie numérique dépende à ce point du bon vouloir d'une seule enterprise privée. Intérêt privé rime difficilement avec intérêt public.
Alors peut-être devra-ton revendiquer un jour un droit à être référencé... à inscrire dans la déclaration des droits de l'Homme ? Mais dans ce cas, il faudra arrêter d'attaquer Google sur tout et n'importe quoi. Question de cohérence.
Mise à jour 19/07 : Google a finalement fait revenir les médias belges dans son moteur de recherche. Le coup de semonce a eu son petit effet...
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