Benoît Raphaël

GOOGLE+. Peut-on se réjouir de la fin de l'anonymat ?

29 Juillet 2011 , Rédigé par Benoit Raphaël Publié dans #Daily, #just delivered, #anonymat, #Google, #réseaux sociaux

Bien... Google a décidé de faire la chasse aux anonymes sur son nouveau réseau social Google+ et, comme il fallait s'y attendre, c'est un torrent de protestations qui s'est déversé sur le Net. Il faut dire que le moteur de recherche, nouveau dans l'univers du social, n'a pas fait dans la dentelle. Après un message laconique envoyé par mail, Google a bloqué ou supprimé un certain nombre de comptes qui lui semblaient factices. Le site Ecrans raconte qu'une ex employée de Google, Kirrily « Skud » Robert "a commencé à réaliser une base de données regroupant tous les utilisateurs bloqués pour avoir utilisé un pseudo, l’avoir glissé entre leur nom et prénom ou même, plus simplement, à cause d’un nom ne semblant pas réel ou comportant des caractères spéciaux". Beaucoup de maladresses donc de la part de Google (dont la philosophie semble être : agis vite, trompe-toi vite, excuse-toi vite, et corrige vite...), mais qui tombaient cette fois assez mal. Le sujet est sensible. Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'un réseau social attaque le vieux dinosaure de l'anonymat sur Internet. Cela fait un an que Google milite pour la fin de l'anonymat et pour une "transparence totale" (lire le discours d'Eric Schmidt en août 2010). Ce n'est d'ailleurs pas Google qui a lancé le mouvement, mais Facebook. Qui fait lui aussi, peut-être un peu moins maladroitement, la chasse aux anonymes sur sa plateforme, arguant que la qualité de la communauté vient justement du fait que personne n'est anonyme. Il est plus difficile de mentir sur ce que l'on est lorsque tous nos amis peuvent vérifier ce que l'on publie. C'est ce qui fait la force de Facebook. On pourrait répliquer que les intentions qui sous-tendent ce débat sont exclusivement économiques : plus facile de monétiser une communauté qui se présente comme une extension de notre vie qu'un dazibao à la Doctissimo ou à la Skyblog où l'on ne sait plus qui parle et qui dit la vérité. La courbe de trafic de ces sites à forums a d'ailleurs dramatiquement fléchi ces deniers mois. Mais il n'y a pas que le business. Et ce qui est bon pour le business n'est pas forcément mauvais pour l'individu. Les deux, parfois se rejoignent naturellement. Le débat sur l'anonymat sur Internet dépasse le simple paradigme du "tous mercantiles". La question se pose aussi chez les médias, où l'anonymat dans les commentaires ne libère aucunement la parole, plus souvent la haine et la lâcheté. Le chroniqueur Bruno Roger-Petit en livre un terrifiant exemple dans un récent billet, citant des commentaires envoyés à son encontre sur un site d'extrême droite bien connu. Grand défenseur de l'anonymat il y a quelques années, j'avais même testé une nouvelle fonctionnalité sur le Post.fr (que j'ai co-fondé et piloté jusqu'en mars 2010): pensant que l'affichage de l'identité des internautes les empêchait de témoigner sur des sujets sensibles, j'avais permis aux membres du site de publier un commentaire anonymement tout en restant connecté à leur compte. Nous avons dû mettre fin à l'expérience : à chaque fois qu'un internaute utilisait cette fonction, c'était pour insulter un auteur ou pour se livrer à des commentaires racistes! Aujourd'hui, je milite pour la suppression de l'anonymat sur les sites d'infos que je crée ou conseille, sauf s'il s'agit de leur demander d'envoyer des documents sensibles. Quand les internautes s'expriment à visage découvert sur un site d'infos, ils sont plus calmes, et étonnamment plus brillants et plus appliqués. Surtout si leur commentaire est destiné à être publié ensuite sur leur page Facebook. Quand tous vos amis peuvent lire vos écrits sur leur mur, vous réfléchissez à deux fois avant de poster n'importe quoi. Pour autant, faut -il supprimer toute possibilité de publier anonymement sur Internet ? Bien sûr que non. Tout d'abord, personne n'est jamais vraiment anonyme sur Internet, à moins d'utiliser des outils spécifiques pour gommer ses traces sur la toile. Mais surtout, si l'on veut que cette société de la transparence prônée par Eric Schmidt serve le bien commun, il faudra accepter une certaine dose d'anonymat. Dans un monde idéal peuplés de gens équilibrés et bienveillants, la transparence totale aiderait sans doute les sociétés à avancer. Mais tout le monde n'est pas égal face à la transparence. Tout dépend de ce qu'on en fait. Ensuite, tous les Etats ne sont pas démocratiques. Même les démocraties... Bien souvent, c'est grâce aux révélations de citoyens protégés par l'anonymat que l'on fait avancer la transparence. Nous l'avons vu lors des révolutions arabes. Si Google+ avait existé à l'époque, Google aurait-elle supprimé les comptes des combattants de la liberté  ? En France, nous avons aussi besoin parfois, exceptionnellement, de courageux anonymes pour ouvrir parfois la boîte de Pandore. L'anonymat pollue souvent le débat, mais il peut aussi, même si c'est rare, être la soupape de sécurité d'une démocratie. La transparence doit être la règle, mais elle est comme la liberté : elle ne rend libre que si elle s'impose des exceptions. Sinon elle emprisonne tout le monde.
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