Benoît Raphaël

Derrière les agressions, l'autre visage d'UberPOP

16 Juin 2015 , Rédigé par Benoît Raphaël

Il y a un petit moment déjà que j'ai envie de faire un billet pour parler d'UberPOP. Aujourd'hui, après l'agression d'un chauffeur à Nice, qui s'en est sorti avec des blessures légères et sa voiture inutilisable, je me demande si je ne devrais pas plutôt parler des taxis. Maintenant que le service de voitures avec chauffeur entre particuliers est installé dans plusieurs villes de France on peut faire des classements de "qui sont les taxis les plus cons" par ville. En terme de réaction à UberPop, hein, et de stratégie de communication.

Nice est pas mal remonté dans le classement depuis quelques jours, rattrapée par Marseille la semaine dernière avec cette effarante vidéo :

Ce matin, les artisans-taxis azuréens ont fait fort. Voiture cassée, chauffeur UberPOP agressé. On sent que l'économie avance, c'est bien.

Je ne vais pas revenir sur les arguments juridiques pour ou contre, encore un peu flous (la loi est contre, mais la jurisprudence donne pour l'instant raison à Uber), ni sur les importantes ressources policières de l'Etat mises sur ce dossier ces derniers mois pour traquer ces méchants délinquants que seraient les chauffeurs UberPOP. Ni sur l'accusation de travail au noir, qui pouvait être vraie dans certains cas au début, mais qui ne l'est quasiment plus aujourd'hui qu'Uber demande à ses chauffeurs particuliers de prendre le statut d'auto-entrepreneur. Et je vais éviter de sourire, aussi, quand j'entends des chauffeurs de taxis me parler de travail au noir, parce que, bien sûr, les taxis ne travaillent JAMAIS au noir, ça se saurait sinon.

Non. Aujourd'hui, j'aurais plutôt envie de parler d'économie. Et puis après, je vais vous parler de ces chauffeurs qu'on traite comme des délinquants. Ces chômeurs, ces retraités, ces étudiants, ces intérimaires, ces start-uppers aussi. Depuis que j'utilise ce service entre particuliers, c'est à dire depuis son arrivée en France, j'ai rencontré plusieurs dizaines de ces UberPOP. A Paris, mais aussi à Nice où a eu lieu l'agression. Tous m'ont raconté leurs galères mais surtout comment cette nouvelle pratique qu'on appelle aujourd'hui l'économie du partage, a changé un peu leur vie, et leur a donné un peu d'espoir.

(crédit photo : Nice-Matin)

(crédit photo : Nice-Matin)

Avant, il faut que je vous explique. Petit cours d'économie moderne, donc.

Uber c'est quoi ? Uber, c'est l'économie du partage. Une petite entreprise sympathique il y a encore 4 ans, et qui est devenue le grand méchant loup parce qu'elle s'est mise très vite à gagner de l'argent. Et l'argent c'est mal.

L'économie du partage touche aujourd'hui 70% de la population française. Surtout les plus jeunes.

L'économie du partage c'est par exemple AirBnB qui permet aux particuliers de louer leur appartement quand ils n'y sont pas. Et c'est Uber qui permet désormais à des particuliers de conduire des gens dans leur voiture quand ils ont un peu de temps libre. Ça permet à des gens de louer des appartements moins cher, ou de se déplacer à moindre coût. Mais aussi de faire des rencontres. Et puis ça permet à des gens qui ont besoin d'argent, parce que c'est la crise, vous comprenez, d'arrondir leurs fins de mois en utilisant leur temps libre quand le marché de l'emploi est trop saturé, ou trop rigide. A une époque où la vieille économie peine à trouver de la richesse, on voit émerger depuis quelques années une autre économie, celle de l'optimisation, qui permet de créer de la richesse dans les espaces vides laissés par une société en pleine mutation. Et de l'espace vide, il y en a beaucoup.

Alors, forcément, parce que cette économie est disruptive, elle sort des règles traditionnelles. Et comme les gouvernants ne comprennent pas grand chose à tout ça (peut-être à cause de leur âge) (non, je plaisante...), ils préfèrent interdire en répondant aux lobbies. Alors qu'il suffirait de faire l'effort de poser un cadre, de tester des nouvelles règles pour réguler cette économie un peu sauvage, on fait le choix de transformer en délinquants des gens comme vous et moi qui ne font de mal à personne et qui rendent un vrai service.

Derrière les agressions, l'autre visage d'UberPOP

Qui sont ces délinquants ? Il n'y a pas de portrait type. Il n'y a que des parcours. Tous différents. Ce qui les rassemble, c'est qu'ils se bougent pour s'en sortir.

Tous les chauffeurs que j'ai rencontrés, sans exception, et j'utilise beaucoup ce service, étaient des gens adorables, touchants, consciencieux, parfois drôles, parfois philosophes... J'ai beaucoup discuté avec eux, ils m'ont raconté leur histoire.

Il y a cette histoire assez jolie d'un jeune d'une banlieue parisienne, dont le prénom aux consonances musulmanes lui fermait les portes de la plupart des entreprises. "J'ai beau avoir fait des études, c'est plus facile d'avoir un entretien d'embauche quand vous vous appelez Jean que Ahmed". Quand UberPOP est arrivé, il est devenu autoentrepreneur. Mais comme il ne voulait pas en rester là, il a passé le permis qui autorise le transport de personnes, il a créé sa société, et il est devenu UberX (le service semi-pro de Uber). "Avec l'argent que j'ai gagné, j'ai créé une deuxième société, et j'ai réalisé mon rêve : j'ai créé ma marque de t-shirts." Des t-shirts qui parlent de discrimination...

Il y a ce jeune retraité qui me disait en riant que quand il avait arrêté de travailler et qu'il s'était retrouvé à tourner en rond chez lui, il n'arrêtait pas de s'engueuler avec sa femme. "Je l'aime, ma femme, mais à me voir enfermé avec elle toute la journée sans rien faire, elle commençait à ne plus me supporter. Alors les après-midi, je prends ma voiture, j'allume l'application, et je fais un peu de Uber. Ça me fait un peu d'argent de poche, je me sens un peu utile, et je rencontre toujours des gens intéressants."

Il y a ce chauffeur routier intérimaire qui complète les phases de carence par un peu de Uber. "Ça m'aide pas mal. Je ne comprends pas les taxis. De toute façon on n'a pas la même clientèle, moi j'ai surtout des étudiants qui ne pourraient jamais se payer les taxis niçois..."

Il y a ce facteur à la retraite qui connaissait la ville par coeur. Mais maintenant qu'il n'avait plus de travail, sa science ne lui servait plus à rien. "Ma fille en avait marre de me voir tourner en rond alors elle m'a parlé de Uber". Il était consciencieux comme un facteur, ce chauffeur. Il m'avait laissé son téléphone pour que je l'appelle quand j'avais un déplacement, mais pas pour faire la course au noir. A chaque fois qu'il venait me chercher, il enclenchait l'application. "Mes enfants me disent parfois que je suis trop honnête. On ne se refait pas."

Il y a ce jeune start-upper qui voulait lancer un réseau social sur mobile mais qui ne trouvait pas d'investisseurs. "Avec Uber, j'ai conduit pas mal de gens de Nice à Monaco. Un jour j'ai rencontré quelqu'un à qui j'ai parlé de mon projet et il m'a financé. Le mois prochain, je vais boucler une seconde levée de fonds".

Il y a cet étudiant qui voulait devenir pilote de ligne, et qui faisait chauffeur le soir pour payer ses études.

Il y a cet écrivain qui voulait vivre de ses polars mais qui, en attendant, conduisait des gens dans la nuit. Toujours la nuit. Sinon c'est moins noir.

Et puis il y a ce chômeur de 58 ans, qui me racontait sa vie solitaire depuis son divorce. "Je suis trop vieux pour trouver une femme, alors je n'ai pas envie de tourner en rond chez moi à ne rien faire." Avec Uber, il gagne un peu d'argent, mais surtout, il voit des gens, il retrouve un levier de fierté. "Ça m'a remis debout. Je ne comprends pas pourquoi ils veulent l'interdire."

Alors, oui, il faut poser des limites, oui, il faut certainement mettre à plat le système des plaques de taxi qui font l'objet de spéculations délirantes, désormais obsolètes, oui il faut changer l'économie.

Mais s'il y a 2 millions de personnes aujourd'hui qui utilisent Uber en France, c'est qu'il y a sans doute autre chose à faire que leur envoyer les flics, confisquer leur voiture, et traîner ces gens sympathiques devant les tribunaux comme les derniers sacrifiés d'une économie qui ne tourne décidément pas rond.

Bon, et puis si vous préférez quand même les taxis, vous pouvez toujours aller raconter votre histoire ici :

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