Benoît Raphaël

Quand l'innovation se cache derrière une bouteille de vin, et pas forcément là où on l'attend...

10 Août 2015 , Rédigé par Benoît Raphaël Publié dans #vin, #innovation, #commerce, #Paris

Parfois, ce n'est pas dans l'abus de technologie que l'on trouve l'innovation. A notre époque hyper-connectée, l'innovation c'est aussi le retour à l'essentiel, aux relations humaines. A plus de sens et de transparence dans ce que l'on consomme. C'est aussi, pour un "commerçant", de ne plus considérer ses clients comme ses clients, mais comme ses amis, et de ne plus "vendre" mais plutôt partager quelque chose que l'on aime.

Non non, je ne vais pas vous parler de déconnexion, vous savez, cette pratique à la mode qui a envahi mon fil Facebook ces derniers mois : "Hey les amis des réseaux sociaux, je me déconnecte pendant une semaine ! Je vous ferai bien sûr partager cette expérience incroyable quand je me serai reconnecté".

Non, je vais vous parler de mon caviste. Le seul commerce que je connaisse qui n'ait pas de clients. Il n'a que des amis. Forcément, ça fait moins de chiffre d'affaires. Mais ça peut apporter un peu plus de bonheur.

Hervé Lethielleux (photo B.R.)

Hervé Lethielleux (photo B.R.)

Hervé Lethielleux n'a donc que des amis. Des amis vignerons, dont il vend le vin. Et des amis qui achètent leurs bouteilles et qui souvent les partagent aussitôt, le soir. Ces soirs où la cave "L'Etiquette", sur l'île Saint-Louis reste ouverte bien au-delà des horaires habituels des commerces habituels.

De l'Etiquette un ami de Hervé lui a dit, un jour : quand on vient chez toi, on n'est pas à Paris. On est dans une bulle, hors du temps. On débarque dans repaire d'amateur de vie, plus que de vin. C'est un espace hors de toute géographie.

Je ne vais pas vous parler de déconnexion, donc, mais de connexion. La vraie.

Un soir, il y avait ces deux femmes originaires de la Silicon Valley. Elles bossaient toutes dans ces start-ups de rêve où l'on a tous envie d'aller travailler pour se balader en skate-board dans les couloirs en faisant des trucs cool. Ce soir là elles ont trouvé un lieu encore plus incroyable que la Silicon Valley, m'ont-elles dit. Le lendemain elles sont revenues à l'Etiquette avec un gâteau au chocolat. Elles l'ont offert au patron et à ses amis clients. Elles lui ont dit : "Vous avez l'air heureux dans votre métier. Bien plus que nous ! Comment vous faites ?"

Il les a regardées, il a souri, et il a dit : "C'est très simple. Un jour j'ai décidé d'être heureux".

Très simple en effet.

J'ai noté ça dans mon bloc-note. Là où je mets les trucs que je voudrais faire mais que je n'accomplirai peut-être jamais. J'ai noté : "Un jour j'ai décidé d'être heureux".

L'une des oeuvres accrochées aux murs de l'Etiquette (photo l'Etiquette)

L'une des oeuvres accrochées aux murs de l'Etiquette (photo l'Etiquette)

Avant, Hervé travaillait dans une cave et il vendait du vin. Et puis un jour, c'était en 2012, il a tout plaqué. Il est passé par hasard sur l'île Saint-Louis. Il est tombé amoureux de ce minuscule local rue Jean du Bellay, et il a ouvert l'Etiquette.

Hervé ne gagne pas vraiment sa vie. Il vit plus ou moins avec à l'argent du RSA. Ce qui ne l'empêche pas de payer son second, avec un vrai salaire. C'est son choix. Les autres d'abord.

Il ne gagne pas vraiment sa vie, mais il est peut-être plus heureux que Marc Zuckerberg. Peut-être même plus riche. Ce n'est pas lui qui le dit, il ne se vante pas beaucoup. C'est moi qui le pense.

Je pense qu'Hervé est riche de tous ses amis qui, chaque soir, viennent lui dire : "merci d'être là". Ça doit lui suffire. Son badge épinglé sur son tablier gris le dit mieux que lui : "Ça va bien se passer".

Il n'a pourtant pas cherché la facilité. Sur l'Île Saint-Louis, c'est qu'il n'y a presque que des touristes étrangers. Et quand les touristes viennent acheter du vin français, ils sont plutôt à la recherche d'un "bon" Mouton-Cadet ou d'une bouteille de Ruinart, parce que c'est ce qu'ils ont lu dans leur guide.

Les "quilles" improbables, mais magiques, de l'Etiquette (Photo Hervé Lethielleux)

Les "quilles" improbables, mais magiques, de l'Etiquette (Photo Hervé Lethielleux)

Alors quand ils passent la porte toujours ouverte de l'Etiquette et qu'ils demandent : "vous avez du Mouton-Cadet ?" Hervé leur répond : "Non." Et ils retourne à ses bouteilles. Ce qui n'aide pas beaucoup à vendre, je sais.

Mais s'ils ne tournent pas les talons, alors Hervé s'arrête, il les regarde. Et il rajoute : "Ici je ne vends pas de chimie."

Là, c'est le moment où tout le monde acquiesce d'un air entendu : "Bah oui, il n'y a pas de chimie dans le vin, c'est naturel non ? Je veux dire, dans les grands vins ?"

Je croyais ça moi aussi. J'avais entendu parler des vins bio, que je croyais anecdotiques. Et tous ces discours un peu excessifs sur les vins pleins de sulfites et de pesticides, ça me semblait exagéré et rébarbatif. Je me suis toujours plus considéré comme un amoureux de la vie que comme un militant. Je suis comme ça, je préfère être pour que contre.

Mais ça c'était avant de découvrir la cave d'Hervé. Et ce que le vin était capable de produire. Et puis j'ai aussi vu ce reportage qui m'a fait regarder cette prestigieuse industrie du vin français d'un autre oeil :

Hervé ne vend que des vins naturels. Sans sulfites (ou si peu). Il vend des vins bio, comme on dit, ou en "biodynamie", une méthode un peu ésotérique mais qui permet de délivrer au bout du compte de très bons produits. Et qui évite un certain nombre de maux de tête, si ce n'est plus.

Hervé ne vend que des vins dont il connait personnellement le producteur et qu'il goûte avec vous comme si, à chaque fois, il découvrait un nouveau poème inédit de Baudelaire.

Certains de ses vins sont étranges. Parce qu'on a perdu l'habitude. Ils sont vivants. Ils vous prennent la peau et l'âme. Ils ont ce zeste d'extraordinaire. Ils peuvent rester ouverts plusieurs semaines. Ils changent tout le temps. Parce que vous changez aussi entre chaque gorgée. Ils diffusent en vous cette sorte d'énergie qui ressemble au bonheur.

Un des vignerons de passage à l'Etiquette, dont les vins, inconnus du grand public, sont de véritables oeuvres d'art, m'a dit un soir : "Quand nous goûtons tous un vin ensemble, il nous connecte."

Ouais.

Mais si.

Un peu comme Facebook, mais en vrai.

Ce vigneron est sicilien. Il a, une année, je crois que c'était en 2005, produit une cuvée si incroyable qu'il a ensuite arraché tous les plants. Se justifiant : "La beauté ne peut pas se reproduire. Elle est belle dans l'instant". Je me suis dit : "Il est complètement fou". Et puis j'ai goûté. J'ai failli pleurer. Et je me suis dit :"Et s'il avait raison ? Et si la vraie richesse était justement là ? Dans ces instants infinis que nous parvenons à créer, ensemble, autour d'une bouteille remplie de la magie d'une seule année, que nous ne pourrons jamais revivre ?"

Hervé Lethielleux (photo B.R.)

Hervé Lethielleux (photo B.R.)

Ce qu'il y a d'extraordinaire chez Hervé, c'est justement ça : cette magie de l'instant présent. Qui se permet ce parfum de presque surnaturel parce qu'il n'y aura plus personne demain pour le vérifier. Tout se passe là, maintenant, entre nous.

De fait, je ne suis jamais venu chez Hervé, dans sa cave je veux dire, sans qu'il se passe quelque chose d'incroyable. Des rencontres un peu folles, des moments d'émotion dingues. Comme ce soir où j'ai vu Hervé pleurer parce qu'il venait de goûter le plus beau vin de sa vie. Comme ce soir où le batteur de Paul Mac Cartney est entré par hasard (Hervé est un fan inconditionnel de Paul Mac Cartney), et où tous les deux ont fini à 1h du matin, au sous-sol, à refaire le monde autour de vins venus de l'espace.

Comme tous ces soirs où se croisent des gens incroyables venus de tous les pays, qui se racontent leurs vies, leurs projets fous, qui s'engueulent en riant, qui boivent comme ils prient, qui confrontent leurs visions décalées du monde. Et trinquent à l'amitié universelle.

Et puis il y a les autres amis. Ceux qui viennent aider Hervé. Passer le balais, ranger des caisses, tenir la caisse, offrir une bouteille pour la partager avec lui et ceux entrés parce qu'ils avaient vus de la lumière dans l'Île Saint-Louis endormie.

(Photo B.R.)

(Photo B.R.)

A chaque bouteille une émotion. A chaque verre du même vin, une émotion différente. Une histoire à raconter. Des rencontres inoubliables.

C'est un espace à part que l'on ne croise nulle-part ailleurs. C'est un espace qui nous apprend qu'être moderne ce n'est pas forcément ce que l'on croit. Ce n'est pas être connecté en permanence, ce n'est pas non plus se déconnecter volontairement. Être moderne dans ce siècle un peu fou, c'est peut-être simplement réapprendre à être vivant.

Comme les vins de l'Etiquette.

Alors oui, l'innovation ce n'est pas seulement l'économie du partage, l'économie connectée. C'est aussi la connexion vraie, aux choses, aux gens, sans tous ces circuits opaques et compliqués que l'industrialisation produit parfois. C'est aussi le partage et la relation sociale avant tout. C'est le vrai "j'aime" que nous voudrions tous donner derrière tous nos "j'aime" Facebook.

Et comme j'aime ce mec, je vous invite à tous venir le voir à la tombée du jour. Et à faire passer le message autour de vous.

Et ce bonheur là n'est pas difficile à trouver : il est ouvert tous les jours au 10 rue Jean du Bellay à Paris.

Et que ça ne vous empêche pas de le partager sur Facebook ;)

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