Ecrire l'avenir autrement
Je devrais déjeuner avec Antoine Brachet plus souvent. A chaque fois je repars avec une bouffée d'optimisme et pas mal d'idées. Surtout qu'on a parfois les mêmes, et qu'il met en pratique celles que je n'ai pas eu le temps ou l'audace, ou l'énergie de déployer. Il a aussi cette incroyable talent naturel à faire participer les autres à tout ce qu'il entreprend. Il a aussi la chance d'avoir un job (il s'occupe de R&D chez Dassault Systèmes) qui lui autorise d'entreprendre beaucoup de choses à l'extérieur sans avoir besoin de le monétiser. Ce qui rend sa démarche plus sincère. Il est le fondateur des "Barbares", qui rassemble aujourd'hui plus de 4000 personnes autour de la nécessité de changer les règles. De l'économie. De la société. De les changer dans le bon sens. Parce qu'Antoine est un indécrottable optimiste. Il croit en l'empathie et à l'intelligence collective. Il croit aussi que ces rêveries tendances peuvent dépasser le cercle des innovateurs parisiens, un peu bobos, plutôt sympas mais entre eux, et donner de l'élan, par petits cercles, à cette masse française qui subit la crise au lieu de la transformer.
Antoine aime lire et écrire. Des fictions. Parce qu'il croit que l'imaginaire est un formidable levier pour toucher le plus de monde possible. Alors il s'est lancé il y a un mois et demi dans l'écriture d'un roman un peu particulier.
Il l'a commencé sur la plateforme Medium. Il a d'abord posé quelques lignes, comme ça, pour voir, pour le faire. Et puis, comme à son habitude, il a demandé à sa communauté de l'aider. Et c'est comme ça que l'aventure a commencé.
Son idée : la démocratie est en crise. Il faut penser la prochaine étape. Et la meilleure façon de le faire, se dit-il, c'est de s'appuyer sur l'imaginaire. Sans oublier le réel. Mais simplement le dépasser. Son roman, qui en est au quatrième chapitre, raconte l'histoire d'un conseiller du président, Julien, cocaïnomane un peu cynique. Qui va se laisser entraîner par une révolution démocratique collaborative en temps réel.
Le roman d'Antoine Brachet, "Un peuple totalitaire", n'est pas qu'une fiction, il puise son inspiration dans des théories, des idées et des pratiques observées partout dans le monde.
Mais ce n'est pas tant le texte qui importe, que la façon dont il s'écrit. Que son objet, qui n'est pas seulement de raconter, mais d'entraîner.
"Un peuple totalitaire" est donc un roman collaboratif qui s'écrit à l'heure du réseau et du numérique.
Le texte, en construction, a déjà été lu plus de 2000 fois. Ce qui est pas mal pour un premier roman inachevé. Mais surtout, Antoine reçoit entre 5 et 6 contribution par jour, de personnes qu'il ne connait pas forcément, et qui lui amènent des éléments de réflexion, des liens vers des travaux qu'ils ont effectué, une fausse "Une" de Libération qui illustre un passage du roman, un chapitre qui imagine la suite ou une alternative. Qu'Antoine intègre au fur et à mesure, de façon un peu désordonnée, expérimentale. C'est une sorte de roman en réseau qui tisse des liens, fait surgir des croisements, s'alimente et s'enrichit des idées des autres et qui, par la magie de l'imaginaire, donne presque à croire que c'est possible, donne des idées ou des envies d'y aller, vers cette expérience de démocratie un peu folle. A un moment où on en a tous le plus besoin.
Alors ce n'est qu'un début. Il y a une page Facebook, avec seulement 82 membres. Mais la communauté grandit. Elle est surtout très active. Elle a organisé dernièrement un apéro, spontané. Tout reste à imaginer.
On a du mal à voir ce roman sur papier, puisqu'il se construit avec les gens. Puisque sa nature est d'être vivant. Mais ça prendra sans doute forme un jour. Certains se posent la question "Qu'est-ce qui se passera quand tu/nous estimerons que le bouquin sera terminé ?" On a bien le temps d'y penser. Et de voir venir. Et de s'interroger sur le futur du livre. Et sur la place de l'imaginaire dans nos sociétés à réinventer, dans ce monde où le repli sur soi est presque devenu la norme, l'insubmersible fatalité.