France Info fait sa révolution numérique, mais pas comme vous auriez pu l'imaginer
Je me souviens de cette discussion avec Laurent Guimier, alors tout juste nommé directeur de France Info. C'était un matin de juin 2014 et on parlait ensemble du futur de la radio, de ce que serait France Info dans deux ou trois ans. Notre discussion tournait autour d'un questionnement un peu iconoclaste : une radio d'info a-t-elle vraiment besoin d'une rédaction web ? N'y aurait-il pas un autre modèle à inventer ?
Laurent fait partie de ces rares patrons de médias traditionnels à avoir mis le web au coeur de son métier, et pas seulement en théorie. Il ne se comporte pas comme un directeur qui a compris les enjeux d'Internet, mais comme un digital native. Il le doit sans doute à son passage au Figaro. En 2006, il y a piloté la rédaction web du journal, aux côtés d'un start-uper, Frédéric Sitterle.
De retour chez Lagardère, d'abord comme directeur de l'info d'Europe 1, puis comme patron du web de Lagardère News, il continue d'avoir un temps d'avance. Ce qui ne lui vaut pas que des amis. Mais ce qui est cool avec Laurent Guimier c'est que, quoi qu'il lui arrive, il est toujours enthousiaste, il a toujours le sourire, il est toujours bienveillant. Et il avance toujours très vite.
J'ai pu le constater quand j'ai monté avec lui le Lab d'Europe 1 en 2011-2012, sous l'impulsion de Denis Olivennes.
Ce que nous avons appris au Lab, c'est que cette petite équipe de jeunes journalistes, en prise directe avec les réseaux sociaux, aurait eu bien plus sa place au coeur de la rédaction d'Europe 1 que "à côté". Que dans cette horrible salle "Pyramide", avec sa moquette beige, à laquelle on ne pouvait accéder que par un labyrinthe d'escaliers moches, ou par le local poubelles, et qui a traumatisé des générations de journalistes digitaux chez Lagardère. Mais à cette époque, Laurent n'était déjà plus le patron de l'info d'Europe 1. Alors quand à France Info, il a enfin eu les commandes, il a pu s'atteler à changer le logiciel de la radio.
Le résultat de ces réflexions, et de son expérience, est en place depuis une semaine. Il a appelé ça "l'agence". C'est une sorte de "Lab" interne, conçu avec deux jeunes journalistes de la génération digitale : Antoine Bayet, l'ancien et talentueux rédac chef du Lab d'Europe 1, et Estelle Cognac, l'ancienne rédac chef web de France Info, non moins talentueuse, qui dirige désormais "l'agence".
Sauf que cette agence n'est pas un site web.
Estelle Cognac, rédactrice en chef chez France Info, et Antoine Bayet, directeur de l'info numérique de la radio.
Et que la rédaction web de France Info n'existe (presque) plus.
L'idée était la suivante : plutôt que de payer des journalistes (plutôt talentueux) à batonner des dépêches, sans réelle valeur ajoutée, mettons les au coeur de la rédaction. Composée de dix journalistes (dont une grande partie issue du web), l'agence est une rédaction à l'intérieur de la rédaction radio, chargée de l'info chaude. Ils sont en prise en permanence avec les réseaux sociaux (essentiellement Twitter), le réseau des journalistes (qui leur envoient des alertes par texto quand ils sont sur le terrain) tout comme l'antenne de la radio dont ils font la "curation", c'est à dire qu'ils repèrent les contenus et propos les plus intéressants pour les faire remonter à la rédaction de France Info. Régulièrement, ils produisent aussi des billets pour l'antenne. Une sorte de super AFP. Mais comme l'AFP devrait l'être.
"Je n'ai rien contre l'AFP", m'explique Laurent, "mais nous ne pouvons plus nous reposer uniquement sur elle." Quand en février 2015 l'AFP annonce par erreur la mort de Martin Bouygue, France Info relaie la dépêche d'agence avant de relayer le démenti... "Aujourd'hui, une telle erreur ne devrait plus se reproduire".
En fait, Laurent Guimier s'est posé une question simple : quel est le vrai métier de France Info ? Qui sont ses concurrents ? Et sa réponse : notre métier c'est d'être une chaîne d'info en continu et en temps réel, qui prend ses infos à la source (et notamment sur Twitter où elle émerge bien souvent en premier) et qui les vérifie. Ses concurrents sont BFMTV et les réseaux sociaux, pas RTL. Ses sources : le terrain réel et le terrain du web. Son avenir : l'audio sur mobile.
Pour lui, "la radio va plus vite que le web".
Le choix de présenter France Info comme "la chaîne d'infos du service public" n'est pas innocent. Laurent Guimier est en charge d'inventer, avec Germain Daguonet, directeur délégué de l'info chez France Télévisions, la future chaîne d'informations en continu du service public. Au coeur du dispositif, on devrait y retrouver France Info et son "agence" pour le traitement de l'info "chaude".
Ce n'est pas encore LA révolution. Mais c'est un bon début.