Ce que “l’affaire Hanouna” nous dit de l’équilibre du monde
Quel est le lien entre Cyril Hanouna et une Fake News ? Devinez…
J’aime bien ce titre. Tout de suite, il donne l’impression que l’on va tirer un enseignement intellectuel d’un faits-divers médiatique bas de cerveau. En mode récupération du buzz : je dis du mal de façon intelligente, du coup je me rends plus visible. Hanouna fait aussi le beurre de ses détracteurs. Le système s’auto-dévore.
Ceci-posé, ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est qu’elle nous parle du désordre ambiant. Et de quelle manière il se ré-équilibre. Ou du moins tente de le faire.
Je ne m’étendrais pas sur l’histoire, elle est en “TT” depuis des jours (TT=trending topics, c’est ç’est à dire “sujet tendance” sur Twitter pour ceux qui connaissent mal Twitter) . Je ne porterai pas de jugement non plus sur ce nouveau lynchage médiatique.
L’animateur de l’émission Touche Pas à Mon Poste” sur C8 met en scène un canular se moquant ouvertement de certains homosexuels. Comme prévu, les réactions choquées s’enchaînent, encore une fois, sur les “réseaux sociaux”. Hanouna est accusé, encore une fois, d’homophobie. Tout le monde est à sa place, tout le monde fait du buzz. C’est bien. Avec un petit bonus : le CSA, qui ne sait plus quoi faire, reçoit plus de 20.000 signalements (contre un peu plus de 6000 pour toute l’année 2016).
Fin de l’histoire ? Comme on a coutume de le dire chez les professionnels des Internets, “le buzz c’est toujours bon”. L’essentiel, c’est qu’on parle de nous. Dans un monde où tout le monde peut donner son avis, la vérité, voire la morale, devient parfois relative.
Ce n’est pas étonnant, finalement, que les animateurs de l’émission en viennent à user des mêmes arguments que les populistes en politique : ils accusent en quelque sorte le “système” de vouloir tuer l’homme du peuple qui dérange la bien-pensance d’une caste, laquelle mépriserait les “beaufs”.
Le parallèle avec la crise politique n’est d’ailleurs pas inintéressant. La prolifération des “fake news”, lors des dernières élections, a contribué à créer un climat de méfiance généralisée. La principale conséquence de ce phénomène est de lisser l’ensemble de l’information. Et donc de faire cette infinie richesse apportée par Internet une sorte de soupe dont ne sortiraient nourries que les simplifications à l’extrême du type : “Internet c’est une poubelle” d’un côté, et “le système nous ment/le système nous méprise” de l’autre. “Nous”, c’est à dire “les gens”, cette population imaginaire que “populistes” et “élites” se renvoient à la figure régulièrement. Une guerre dont nous sommes effectivement, “nous”, c’est à dire vous et moi, citoyens, internautes, dans notre incroyable diversité, les seules et les premières victimes.
Mais, cette fois, l’histoire ne s’arrête pas là. Sur Twitter, un internaute lâche la liste des annonceurs de l’émission.
Voici les marques qui financent TPMP grace à leurs pubs.
— Max 🦁 (@MaximeHaes) 19 mai 2017
Vous savez quoi faire maintenant.#Hanouna pic.twitter.com/5G9yJykcsQ
Et là, comme un jeu de dominos, les marques se retirent et annoncent leur volonté de ne plus faire de pub dans “Touche Pas à Mon Poste”.
C’est ce qu’on pourrait appeler, si l’on était Hanouna, un bon coup de pied dans la bourse. C’est d’ailleurs le seul coup efficace qui pouvait être porté.Parce que si le bad buzz est le nerf de l’audience. La pub, elle, en est le carburant direct. C’est d’ailleurs elle qui inspirait le sentiment d’impunité et de toute puissance de Touche Pas à Mon Poste. La légitimité d’Hanouna ce n’était pas “les gens”, mais plus simplement “la pub”.
A une autre époque, les marques n’auraient peut-être pas réagi. Aujourd’hui, elles ont bien compris que l’audience ne suffisait plus à diffuser un message, elles ont besoin de relation, et celle-ci passe bien souvent par les réseaux sociaux. En tout cas dans les powerpoint qui circulent dans les agences.
Du coup, l’animateur a présenté ses excuses.
Cet épisode inédit n’est pas sans rappeler, encore une fois, l’action lancée par les “Sleeping Giants” contre les “fake news”. Ces activistes poursuivent une campagne assez efficace d’interpellation des annonceurs qui financent, souvent sans le savoir, les sites diffusant des “fake news” ou des propos haineux. Le mouvement est parti des Etats-Unis en 2016 et s’est étendu en France.
Les réseaux sociaux provoquent parfois le désordre, et le nivellement par le bruit. Mais ils permettent aussi de ré-équilibrer, par les mêmes moyens, un certain nombre d’abus.
Dans cette guerre tripale qui fait le terreau du populisme, on tente encore de se raccrocher aux vieilles méthodes : que fait le CSA ? que font les médias “de qualité” ? S’indigner auprès de sa communauté, déjà convaincue, nettoie la bonne conscience, mais ne sert souvent qu’à diviser encore plus profondément de plus en plus liquide et complexe.
Internet, c’est l’interconnexion des gens et des idées. Un gros bordel donc, qui profite au chaos, mais qui peut aussi servir aux ré-équilibrages. L’essentiel est d’en comprendre les règles.
En fait, c’est un peu aujourd’hui comme la Force au début de l’épisode 4 de Star-Wars. Il y a deux “méchants” qui l’utilisent, il n’y a presque pas de Jedis (enfin si mais personne ne le sait). Il est temps d’aller explorer le côté lumineux de la Force… Même si on n’est pas à l’abri d’excès inverses : le lynchage d’un prétendu méchant par des prétendus gentils. Le monde n’est jamais aussi simple que celui de Georges Lucas et de Disney.
Une petite phrase de fin bien sympa qui me permet de placer, une nouvelle fois, une illustration de Star Wars. Merci Cyril !