Eloge de la lenteur dans un monde d'intelligence artificielle
Ces dernières années la révolution digitale nous a poussé vers une accélération de nos activités. Toujours aller plus vite. Fascination pour ceux qui vont vite, en particulier les plus jeunes, fascination pour la data, pour l'automatisation de tout, y compris la créativité. C'était nécessaire. Mais aujourd'hui, où allons-nous ? Accélérer ? Sur ce terrain il n'y aura qu'un seul vainqueur. L'intelligence artificielle ira toujours plus vite que nous.
Si vous venez de rentrer de vacances, vous vous êtes peut-être posé cette question : et si le monde allait trop vite ? Et si je pouvais seulement un peu ralentir ? Vous vous êtes peut-être corrigé aussitôt, balayant le trop bref bien-être éprouvé durant vos vacances comme une faiblesse passagère. Vous avez vite laissé de côté la mémoire de ces moments de calme passés cet été à "ne rien faire", ou à lire, écrire, découvrir d'autres cultures, vivre la nature, ou simplement passer du temps avec ceux que vous aimez. Vous avez repris le travail et le rythme effréné, angoissant, mais quelque part rassurant, du "vrai monde".
Mais il y a peut-être une petite voix qui vous dit, de temps en temps : et si vous aviez tout faux ? Et si ces rares moments au ralenti étaient justement les moments les plus importants ? Les plus riches ? Les plus créatifs ?
Dans un monde où tout s'accélère, il est peut-être temps de s'interroger sur la lenteur.
Je suis bien placé pour le savoir. Je viens de lancer une start-up dans l'intelligence artificielle. Start-up / Intelligence artificielle : deux termes qui évoquent la rapidité. Deux termes qui évoquent la "hype" également. Tout le monde (ou presque) voudrait faire fonctionner son entreprise en mode start-up, puisque ce sont elles qui s'adaptent le mieux au monde moderne, tout le monde (ou presque) voudrait faire évoluer son activité vers l'intelligence artificielle, puisque c'est elle qui va nous remplacer, nous les humains.
Plus vite. Plus simple. Pitcher en 45 secondes. Lever des fonds vite, se planter vite, pivoter vite, faire un burnout au passage si vous avez plus de 30 ans, mais vite. Ce culte de la rapidité et de sa fidèle compagne, la simplicité (qui permet d'aller plus vite), est tellement arrimé à notre bagage psychologique et économique moderne qu'il nous est difficile de le remettre en question sans ressentir cette douce-amère culpabilité de n'être "plus dans le coup."
Ce culte nous vient, en grande partie, de la Silicon Valley, dont l'étoile filante a éclairé les bouleversements économiques mondiaux de ces 20 dernières années. Mais aujourd'hui que le monde se complexifie, tout en continuant de s'accélérer, il est peut-être temps de se poser quelques minutes et de reconsidérer cette loi tout de même un peu stressante qui nous oblige à accélérer en permanence pour rester dans le coup.
Posons nous deux minutes. Regardons autour de nous, du haut de cette petite montagne de calme que nous ont offert ces quelques semaines de vacances. Le monde a changé. Nous ne sommes plus à l'heure des start-ups, mais à l'heure de l'intelligence artificielle. Dans ce monde, tout va de plus en plus vite. Il fut un temps où l'on se disait que si l'on n'accélérait pas, il y aurait un jour quelqu'un qui irait plus vite que nous. Aujourd'hui, on se dit qu'il y aura un jour un robot qui ira plus vite que nous. Contre les robots, cette bataille est déjà perdue. Alors on s'affole : les robots vont-ils nous remplacer ?
La réponse est oui.
Oui, si nous continuons d'agir comme des robots. C'est à dire d'aller de plus en plus vite.
Saisissons cela comme une chance. Une chance de nous interroger sur ce que nous sommes, sur où nous allons. Ces dernières années la révolution digitale nous a poussé vers une accélération de nos activités. Toujours aller plus vite. Fascination pour ceux qui vont vite, en particulier les plus jeunes, fascination pour la data, pour l'automatisation de tout, y compris la créativité. C'était nécessaire. Mais aujourd'hui, où allons-nous ? Accélérer ? Sur ce terrain il n'y aura qu'un seul vainqueur. L'intelligence artificielle ira toujours plus vite que nous. Nous avons créé un monde dans lequel nous sommes en train de devenir obsolètes. Alors arrêtons nous un instant, et réfléchissons. Réfléchir, le mot est bien trouvé : l'intelligence artificielle, et les fantasmes qu'elle véhicule agit comme un miroir. On la croit autonome, on croit qu'elle nous échappe. Et si elle n'était que le reflet de ce que nous croyons être ? Nos pires peurs, nos plus beaux fantasmes d'absolu. Nos absolues défaites.
Par son altérité, l'intelligence artificielle nous renvoie à notre statut d'humain. Si faibles sur l'accélération dont nous nous sommes faits les esclaves, si forts sur tout le reste. Les valeurs, le sens, la vision. Rimbaud et son bateau ivre.
Il est temps de penser cette altérité. Il est temps de nous repositionner en tant qu'humains. De laisser aux robots la maîtrise d'un monde qui risque de nous perdre, mais de maîtriser notre relation à eux. Et de maîtriser notre relation au temps.
C'est un des objectifs du projet Flint, média collaboratif entre humains et robots : nous faire réfléchir, démystifier, raconter une histoire, reprendre le contrôle. Remettre de l'humain dans tout ça, en nous interrogeant. En prenant justement le temps. Prendre le temps, c'est la première règle que nous nous sommes fixés en lançant Flint. Avancer lentement, mais par petites actions rapides, toujours partagées avec les autres. Et prendre le temps de raconter et de décortiquer chaque action. Agir vite, préparer beaucoup. Cela ne veut pas dire ne rien faire, ça veut dire reprendre la maîtrise du temps, du temps long comme du temps court. Apprendre à découper le temps en petits morceaux de temps, faire de 10mn une heure en se concentrant sur l'instant. Apprendre à délinéariser le temps. Et donc prendre le temps de bâtir, en agissant comme l'eau d'un torrent : être souple, réactif, s'adapter aux échanges avec l'extérieur, tout en prenant le temps de l'intériorité et de l'intuition. Faire moins vite, faire plus de petits pas.
Prendre le temps. Prendre un livre. Sortir un carnet et écrire ou dessiner. Sortir de la bulle dans laquelle nous enferment les réseaux sociaux. Imaginer. Se dire à nouveau que tout est possible. Inventer notre futur.
Il est temps que nous entamions une grande réflexion sur ce que l'intelligence artificielle dit de nous. Ce terrain là est encore vierge.
Parce qu'elle va justement plus vite, l'intelligence artificielle nous invite à ralentir. Envisageons là comme une collaboration. N'essayons pas de l'égaler, ce serait nous enfermer dans ce déni névrotique de nous-mêmes. Essayons plutôt de nous en servir. Laissons leur la mécanique de la vitesse infinie, et retrouvons nos racines. Ce qui fait de nous des humains : aimer, aider, délirer, inventer, construire, faire avec les mains, avec le coeur, ou avec l'esprit. Prendre conscience de la nature (qui nous protège) et des étoiles (qui nous font rêver). La créativité s'accorde mal avec les horloges. C'est pourtant elle qui nous fait avancer plus loin. Pas la précipitation.
La lenteur n'empêche pas la rapidité. Elle la raréfie, la rend plus efficace.
Dans l'art du Iai-Do, le guerrier japonais prend un temps infini avant de sortir le sabre de son fourreau. L'acte est ensuite rapide, précis, tranchant. Toute la beauté de cet art martial réside dans la préparation de ce geste. Le geste de couper. L'intelligence artificielle est notre sabre, pas notre Être.
Dans la légende d'Arthur, on parle beaucoup d'Excalibur. L'épée fait-elle le Roi où est-elle son arme pour rétablir l'équilibre du monde ? A nous de décider.
Eloge de la lenteur dans un monde d'intelligence artificielle
Si vous venez de rentrer de vacances, vous vous êtes peut-être posé cette question : et si le monde allait trop vite ? Et si je pouvais seulement un
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