Benoît Raphaël

Ce que vous ne savez peut-être pas sur la vidéo de Marina Shiffrin et sur Next Media Animation, l'entreprise qui danse

2 Octobre 2013 , Rédigé par Benoît Raphaël Publié dans #Marina Shiffrin, #Next Media Animation, #Vidéo, #buzz, #journalisme empathique, #marketing, #Weekly, #Daily

Marina V. Shiffrin a enfin réussi ce que son patron attendait d'elle : faire du chiffre.

Sa vidéo expliquant pourquoi elle quittait Next Media Animation a fait plus de 7 millions de vues en 3 jours.

C'est la vidéo la plus vue de toute l'histoire de l'entreprise. (La plus populaire est cette vidéo sur la barbie humaine...)

Hier, Next Media Animation a répliqué avec une autre vidéo :

La vidéo reprend la structure narrative de celle de Marina, mêmes plans, même musique (Kanye West). Mais en la détournant. Elle raconte combien c'est cool de bosser pour NMA, mais aussi combien leur boss est cool également. Et que, d'ailleurs, pour ceux que ça intéresserait, Next Media Animation recrute en ce moment.

La vidéo ne manque pas d'humour. Elle a été pas mal critiquée sur YouTube : faut-il répondre à une vidéo par une autre vidéo clone ? Next Media Animation aurait pu répondre par une animation, puisque c'est leur métier (j'y reviendrai plus loin), et mettre un peu moins l'accent sur le fait que leur patron, critiqué dans la vidéo de Marina était vraiment un type sympa. Mais globalement la vidéo est plutôt bien faite et ne se prend pas au sérieux. Elle donne même envie de travailler pour l'entreprise.

Globalement ce buzz nous apprend que Next Media Animation est une boîte qui génère des talents, qu'elle ne se prend pas au sérieux, et qu'elle est plutôt à l'aise avec le buzz.

Il nous apprend également que les marques ont parfois dans leurs bureaux des gens de grand talent qui sont eux-mêmes des médias. Et qu'elles devraient plus s'appuyer sur eux pour créer du lien avec leur public et/ou leur clientèle.

Tout le monde est média. En particulier dans votre entreprise. Pas seulement parmi vos clients. Comment en tirer partie ? Brian Solis a coutume de dire que la "guerre de l'e-réputation" commence au sein de l'entreprise, avec ses employés, qui sont tous de potentiels relais de buzz, positifs ou négatifs.

Mais ce que nous apprend également cette histoire, c'est que le débat sur l'évolution du journalisme est loin d'être bouclé.

Qui est Marina Shiffrin ? Marina est une auteure, humoriste, artiste, de 25 ans, qui s'est essayée au journalisme. Elle est assez créative et a du talent, mais elle se sentait bridée chez Next Media Animation.

Voici ce qu'elle dit dans sa vidéo :

I work for an awesome company that makes news videos. I have put my entire life into this job, but my boss only cares about quantity, how fast we write and how many views each video gets. I believe it’s more important to focus on the quality of the content. When you learn to improve this, the views will come.

Marina Shiffrin

En gros : son boss lui demande de faire du chiffre (des vues) en ne rebondissant que sur les buzz, alors qu'elle pense qu'avec des contenus créatifs et de qualité, on peut aussi faire des vues. YouTube est rempli de ces exemples là.

Ce que peu de gens ont remarqué, c'est que Marina développe un peu plus sa vision sur son blog.

Dans un billet publié le lendemain de sa vidéo et intitulé "Journalism is dead", Marina explique pourquoi son boss, qui est un "excellent journaliste", gache son talent et celui de ses employés en ne leur demandant que des résultats "make deadlines, not art".

Le tableau est assez naïf et mériterait d'être plus équilibré. Le discours "on me demande de faire du chiffre alors que je voudrais travailler sur de vrais sujets" est un grand classique du métier, qui ne date pas d'Internet. Trop souvent, il masque une difficulté de certains journalistes à écrire pour leur audience, mais plutôt pour eux-mêmes, quand ce n'est pas pour leur sources.

Faire un pas vers son audience ne veut pas dire forcément suivre le buzz. Faire du chiffre ne veut pas forcément dire faire de la mauvaise qualité. Et faire un "vrai sujet" demande du talent... et ce n'est pas forcément "celui qui dit qui y est"...

C'est ce que j'ai appelé le journalisme "autistique" lors d'une table-ronde (ce qui m'a valu de me faire incendier par une partie de la salle...), que j'oppose au journalisme "empathique", qui s'intéresse à son audience.

Empathique ne veut pas dire : suivre les tendances, mais s'intéresser à ceux qui nous lisent/regardent/interagissent avec nous pour travailler des sujets qui augmentent l'intérêt /la connaissance/la compréhension/l'émotion des internautes.

Il y a désormais des outils pour nous aider à le faire.

Marina Shiffrin fait d'ailleurs un pas dans ce sens. C'est une créative. Et le succès de sa vidéo montre qu'on peut faire passer un message en étant créatif et "faire du chiffre".

Sur son blog, elle définit ce qu'elle attend du journalisme :

I would love to be the kind of person who stands up to this nonsense, gives my own version of the foam finger to the Clicks and practices hard hitting, life changing journalism that makes people stop and reevaluate everything they’ve known up until that second. The problem is, I am just not smart enough and my grammar skills are questionable. But, the light at the end of the tunnel is my coworkers, my peers and my idols are smart enough, are talented enough and are driven enough to change the space of journalism.

Marina Shiffrin

Un "journalisme qui change la vie, qui pousse les gens à s'arrêter et réévaluer tout ce qu'ils ont appris jusqu'à maintenant".

Ce journalisme là a du sens. Il s'appuie sur la valeur d'usage (réévaluer ce que j'ai appris), mais aussi sur la valeur émotionnelle (changer ma vie). Ce journalisme là demande aussi quelques talents en marketing, ou en communication : mieux vendre le sujet pour mieux faire passer le message. C'est ce que tente de faire Upworthy avec succès. Mais Upworthy ne fait que promouvoir du contenu. Il faudrait que les producteurs de contenus aient une "upworthy attitude". Tout bon sujet devrait faire du clic parce qu'il est utile aux gens. Il y a quelques règles : la créativité, mais aussi l'angle, la façon de titrer, le format... C'est encore plus important sur le web qu'ailleurs, ou les relais de croissance (donc du clic) passent par les réseaux sociaux, c'est à dire par ces nouveaux médias que sont les gens.

C'est ce que TED a d'ailleurs très bien compris. Chaque conférence est très formatée, dans la tradition du stand-up à l'américaine. Et pensée pour être virale, tout en étant utile, surprenante, passionnante etc.

Enfin, dernière chose, Next Media Animation n'est pas une boîte comme les autres. J'en avais parlé en 2010 dans un billet publié sur le Plus, à l'époque de l'affaire DSK. Ils avaient publié un film assez provocateur pour raconter l'histoire.Ils sont depuis revenus dessus

Next Media Animation produit des "reportages" en 3D, à la façon du jeu vidéo les Sims, pour raconter l'actualité de façon ludique. Par exemple ici pour parler de la pause forcée de l'administration américaine :

Révolutionnaire en 2010, Next Media Interactive reste donc un média innovant. Mais qui doit évoluer. Marina a raison. Faire du clic, ce n'est plus seulement plaire à Google. C'est désormais être utile aux autres : changer leur vie, changer leur point de vue, les surprendre, les amuser aussi. Une bonne histoire, une bonne façon de la tourner pour qu'elle touche les autres, en n'ayant pas peur de s'appuyer sur le buzz quand c'est utile mais surtout sur les éléments qui font le buzz (c'est à dire la viralité) pour mieux faire passer n'importe quel message. Par exemple danser pour raconter une histoire.

Il n'y a pas de sujet interdit pour qui est créatif et un minimum empathique.

Marina l'a prouvé avec sa vidéo.

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