Benoît Raphaël

David Cage et ses 9 commandements : pour grandir, le jeu vidéo doit s'ouvrir

8 Février 2013 , Rédigé par Benoît Raphaël Publié dans #jeux video, #david cage, #medias, #just delivered, #weekly

David Cage est, avec mon ami Eric Viennot, l'un des game designers français les plus créatifs du jeu vidéo. Pour ceux qui ne connaissent pas bien ce métier, "game designer" c'est l'équivalent d'un réalisateur au cinéma, c'est le chef d'orchestre de l'expérience dans un jeu vidéo. La différence avec le cinéma, c'est que cette expérience est interactive et immersive. Elle est donc par nature connectée, sociale et complexe.

David Cage a une qualité rare : il innove et rassemble les foules. Ses jeux (Nomad Soul, Heavy Rain et en 2013 : Beyond: Two Souls) révolutionnent le secteur et ont tous été des blockbusters.

Lors de la conférence DICE 2013, David Cage a détaillé ses 9 commandements pour amener à maturité cet art (mais qui n'est pas qu'art) qu'est le jeu-vidéo.

1. Faire des jeux pour tous les publics, notamment les adultes : ce qui signifie aller vers des expériences plus complexes et aller au delà des grosses licences à répétition (foot, jeux de tir à la première personne, plateforme).

2. Changer notre façon de voir les choses : "En tant qu'industrie, nous devons décider que la violence et la plate-forme ne sont pas là seule issue. Nous sommes dans une industrie où, si le personnage principal n'a pas de revolver, les designers ne savent pas quoi faire."

Ce n'est pas complètement vrai, mais il manque encore cette diversité dans l'approche narrative que l'on retrouve au cinéma notamment.

3. Donner du sens au jeu : aller au delà du jouet, de la seule expérience de divertissement. Qu'avons nous à dire ? Les jeux ont l'avantage de l'interactivité par rapport au cinéma. Elle renverse le rapport à la narration en impliquant de façon plus intense le joueur (Cage a coutume de dire que le cinéma fait appel à la mémoire émotionnelle du spectateur tandis que le jeu, parce qu'il pousse le joueur à faire des choix, génère des émotions directes). Le jeu pourrait parler de grands sujets de société, politiques ou psychologiques.

4. Devenir plus accessible : le jeu n'est pas qu'une question de dextérité et de score. "Focalisons nous sur l'esprit, pas les pouces". Encore une fois, c'est un peu radical. Mais si le jeu reste un divertissement, il a besoin de maturité et d'offrir aussi d'autres expériences. Comme The Walking Dead par exemple.

5. S'ouvrir à d'autres talents que l'industrie du jeu vidéo connait déjà : c'est l'enjeu clé. De nombreux métiers participent à la création d'un jeu : scénaristes, compositeurs, comédiens, animateurs etc Mais pour grandir, le jeu doit s'ouvrir à d'autres univers. Par exemple celui des médias.

C'est un mouvement qui a déjà commencé. On le voit avec les expériences menées avec la Kinect de XBox au delà du jeu, mais aussi les expériences nouvelles proposées par la WiiU qui crée une nouvelle relation à l'écran de télé avec l'usage de la tablette en second écran, ou encore l'intégration de médias, de social média et de contenus dans les systèmes d'exploitation des consoles de jeu.

L'avenir est au contenu, et au contenu interactif. Le jeu vidéo a une grande place à jouer. Le jeu traditionnel (sur consoles) est encore cantonné à son univers, étouffant au plan économique, alors que ça bouge de tous les côtés, sur mobile, à la télévision, sur Internet. Il y a des passerelles à développer.

6. Etablir de nouvelles relations avec Hollywood : c'est la suite logique du précédent commandement. Les deux mondes doivent plus et mieux travailler ensemble. Ce que fait Disney actuellement qui investit également sur le média et le online. Ce qui n'est pas incompatible.

7. Redéfinir le rapport à la censure : on en peut pas aller aussi loin dans un jeu que dans un film justement à cause de la dimension interactive du jeu. On peut faire un film surnle nazisme, pas un jeu. C'est une question très complexe à aborder. Mais elle bride la créativité artistique et empeche ce média d'évoluer. David Cage n'a pas de solutions à apporter, mais il a le mérite de poser le problème.

8. Faire naitre une presse plus critique et ouverte. David Cage rêve d'un "cahiers du cinéma" pour le jeu-vidéo. On n'y est pas encore. Encore une question de maturité.

9. Responsabiliser les joueurs : s'ils veulent faire évoluer l'industrie, ils doivent soutenir les initiatives innovantes en les achetant.

Vieux dilemne, qui touche tous les arts. Mais qui ne doit pas faire oublier (c'est un peu le défaut de David Cage...) que le jeu doit permettre la cohabitation de toutes les approches. Comme au cinéma : il faut du blockbuster et de l'auteur, de la série Z et du grandiose. Ou les quatre à la fois, ce que réussit parfaitement un Tarentino. La nouvelle génération de consommateurs et d'artistes a parfaitement intégré cette nécessité de casser les barrières.

Pour cela il faut surtout, à mon avis, donner du souffle à l'économie du jeu vidéo. Le plus grand enjeu de cette industrie dans les prochaines années.

S'il veut grandir, come le souhaite David Cage, le jeu vidéo doit sortir de sa bulle. Ne pas être qu'un jeu (population de gamers, dextérité, score, console), et ne pas être qu'un art. Il doit multiplier les rencontres et points de contact avec d'autres acteurs et consommateurs : cinéma, art, médias, industrie, marques, sports.

C'est compliqué parce que l'écosystème économique de production et de distribution du jeu est encore très contraignant, tandis que les nouveaux modèles (notamment avec le mobile) sont encore instables et chaotiques.

Mais le jeu, cet art du contenu interactif, est et sera partout dans les prochaines années. Surtout online. Ce n'est d'ailleurs pas qu'un art, mais un nouveau rapport au contenu. Et ça, ça concerne tout le monde.

A lire, ces deux analyses du Journal du Gamer et de Gameblog :

Et cette contre-analyse, toujours sur Gameblog :

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