Benoît Raphaël

JEUX VIDEO. Pourquoi il n'y a pas (encore) de grand jeu sur mobile

3 Janvier 2013 , Rédigé par Benoît Raphaël Publié dans #jeux video, #angry birds, #the walking dead, #mobile, #tablettes, #just delivered

C'est indéniable, et c'est plutôt heureux : l'arrivée des smartphones a fait exploser le marché du jeu vidéo. Il n'y a jamais eu autant de jeux ni de joueurs que ces 5 dernières années, c'est à dire en gros depuis le lancement de l'iPhone. D'abord parce qu'il y a plus de smartphones sur le marché que de consoles de jeu, parce que les prix sont entre dix à vingt fois moins cher que sur consoles, quand les jeux ne sont pas gratuits. Parce qu'il a permis aux éditeurs traditionnels de ressortir de vieux titres (il y a que Nintendo qui a résisté à la tentation) mais aussi parce que la souplesse du marché a permis à des milliers d'éditeurs indépendants d'attaquer un marché jusque là réservé aux grosses structures, capables d'encaisser des couts, mais aussi des pertes importantes.

On l'a vu avec Angry Birds, devenu le jeu le plus vendu au monde.

Si bien que des spécialistes en sont meme venus à se demander si le développement des smartphones n'était pas en train sonner le glas des consoles de jeu. Et si le vrai concurrent des Sony, Microsof et Nintendo n'était pas Apple.

Les chiffres sont éloquents, comme le rappelle le Nouvel Observateur :

En seulement cinq ans, le nombre de joueurs en France est passé de 17 à 28 millions, soit plus de 55% de la population, selon le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV). Une augmentation qui s'explique surtout par l'explosion des smartphones. 42% des joueurs français jouent... sur leur mobile. Le téléphone perd son usage premier pour devenir support du jeu vidéo puisque celui-ci représente 49% du temps passé sur smartphone.

Le Nouvel Observateur

Sauf que ce n'est pas si simple.

Tout d'abord, il faut comparer ce qui est comparable. Les nouvelles licences qui ont explosé sur mobile font partie de la gamme de ce qu'on appelle le "casual gaming". Des jeux simples auxquels on joue de temps en temps dans le métro ou en déplacement. Et que si ce créneau, lancé il est vrai par Nintendo sur ses consoles portables et de salon (la Wii en est le parfait exemple), est celui qui progresse le plus vite, il n'a rien à voir avec les grandes licences qui continuent de rassembler des millions de "gamers" (joueurs) dans leur salon.

Tout simplement parce qu'on ne peut pas comparer Grand Theft Auto IV et Angry Birds. Encore moins un Call of Duty, un Heavy Rain, un Dishonnored, un Mass Effect 3 ou encore un Bioshock Infinite (sortie prévue en 2013).

Un jeu vidéo sur consoles aujourd'hui, c'est un budget équivalent à un film américain, des compositeurs, des acteurs, des scénaristes, en plus des traditionnels game designer (l'équivalent d'un réalisateur pour un jeu), level designers, animateurs et techniciens. Un jeu vidéo, c'est d'abord une expérience émotionnele unique, qui immerge le joueur dans un univers, une histoire, ainsi qu'un maelstrom d'émotions rendues uniques par la nature profondément interactive du jeu.

On ne parle plus du jeu vidéo comme d'une distraction pour enfants, plus ou moins autistique, mais comme d'une expérience à la fois imaginaire et sociale qui en fait aujourd'hui une véritable oeuve artistique dans l'univers très encombré du divertissement. Jouer à un "Journey" sur Playsation 3, est un voyage émotionnel et mystique qui interroge le joueur dans sa relation à son univers intérieur et extérieur.

Jouer à Mass Effect 3, c'est s'immerger dans un univers imaginaire aussi riche qu'un Star Wars, avec la musique entêtante de Clint Mansell (qui a fait toutes les musiques des films de Darren Aronofsky) :

(Attention spoiler)

Jouer à Heavy Rain, c'est ressentir les émotions d'un père qui perd son enfant, dans une séquence hallucinante d'1 heure de vie quotidienne, avant que le drame, annoncé dès les premières minutes du jeu, ne survienne. C'est une nouvelle forme de narration, encore un peu immature parfois, mais dont la puissance d'évocation la rapproche du cinéma et de l'écriture.

Il y a des progrès à faire, on a encore du mal à sortir du divertissement , mais entre le premier "Pacman" et la richesse d'un Mass Effect ou d'un Heavy Rain, il y a un océan. Et c'est loin d'etre terminé.

Comparativement, le jeu sur mobile apparait encore comme un mauvais compromis. Impossible de retrouver la profondeur d'un jeu sur console, encore moins sa capacité à provoquer une véritable expérience immersive et narrative, meme en le comparant avec des titres plus anciens comme Final Fantasy VII, l'un des joyaux de l'histoire du jeu vidéo il y a 15 ans.

Ce n'est donc pas qu'une affaire de puissance de la machine. Un iPhone 4 est largement mieux doté qu'une playstation. La vérité est ailleurs.

Elle vient d'abord du fait que l'on ne joue pas de la même façon sur console que sur mobile ou iPad. Le jeu est plus occasionnel, la demande d'immersion est moins forte. Il faudrait d'ailleurs plutot faire le rapprochement avec les consoles portables (Nintendo 3DS ou Playstation Vita) plus tournées vers le jeu occasionnel. Meme si ces dernières proposent des jeux plus évolués, ces derniers sont très chers comparés aux jeux smartphones.

La seconde raison, c'est le modèle économique : l'état du marché sur mobile ne permet pas de vendre les titres plus de 5€. Il est donc plus difficile d'y mettre les moyens, et le résultat est toujours un peu "cheap". Mais ça évoluera.

La troisième raison vient de l'écran tactile. S'il apporte une révolution dans la façon de jouer (Nintendo l'utilise depuis de nombreuses années déjà et a intégré une tablette dans sa dernière console de salon, tandis que la PS Vita propose une surface tactile innovante sous l'appareil en plus de l'écran), le tactile est encore mal exploité par les développeurs qui ont plaqué les mécanismes de jeu traditionnels sur ces nouveaux écrans sans trop se creuser la tete. Résultat : jouer à un jeu de course ou à un First Person Shooter sur tablette sera toujours moins agréable qu'y jouer sur console. Dépourvu du traditionnel joystick, l'écran n'est tout simplement pas adapté à ce type de jeu.

Les rares titres qui tirent partie positivement du tactile et de la fonction gyroscopique (bouger l'écran pour bouger son personnage) sont des jeux occasionnels de type arcade (Angry Birds, Ski Safari, ), tous excellents et addictifs, mais incapables de proposer une expérience émotionnelle sophistiquée. L'univers d'Angry Birds est néanmoins très cool :

Est-ce à dire qu'aucun grand jeu n'est possible sur mobile ? Le smartphone et la tablette sont-ils condamnés à ne proposer que des expériecnes légères et accessoires aux pasionnés de jeu vidéo ?

Pas sur. C'est surtout une question de temps et de maturité.

Pour preuve, la sortie sur tablettes et smartphones de ce qui restera pour moi l'un des meilleurs jeux de l'année 2012, toutes plateformes confondues: The Walking Dead.

Le jeu a d'abord été conçu pour consoles, mais c'est sur tablettes qu'il prend toute sa dimension. A mi chemin entre Dragon's Lair (un dessin animé interactif des années 80) et Heavy Rain, il propose une immersion dans l'univers de la BD (dont s'est aussi inspirée la célèbre série TV) absolument incroyable. L'écran tactile pourrait être mieux exploité, mais sa simplicité d'utilisation facilite le déploiement de la narration et de l'expérience.

Dans The Walking Dead, l'essentiel du gameplay se concentre dans les choix qui vous sont demandés tout au cours du jeu. Des choix toujours très difficiles qui déclenchent chez le joueur des émotions complexes et intenses.

The Walking Dead est un grand jeu, au scénario plus fin que le modèle du genre, Heavy Rain. Il se joue en plusieurs épisodes et préfigure le futur du jeu vidéo tactile de qualité : gestes simples, scénario complexe, immersion forte. Mais aussi un modèle économique adapté : e premier épisode est gratuit, les autres arrivent au fil du temps, comme une série TV, et sont payants.

Pour l'instant, The Walking Dead reste l'exception qui confirme la règle. Mais il est aussi le premier signe d'une certaine maturation du secteur. Un peu comme l'ont été les séries TV face au cinéma : entre le divertissement simpliste des années 70-80, aux grandes oeuvres, profondes, des années 2000, il s'est passé plus de 20 ans. Le temps pour le marché de la télévision de trouver sa maturité. Son modèle économique. Et ses propres codes.

Le jeu sur mobile n'en est donc encore qu'à ses balbutiements.

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