Laurent Joffrin et les mails : vrai débat ou bon coup de buzz ?
Laurent Joffrin qui, dit-on, ne connait pas bien Internet, fait régulièrement le buzz sur le site du nouvel Obserateur ou sur Twitter, preuve qu'il en a saisi les principales ficelles. Il a déjà saisi que le web était une sorte de plateau télé géant, accessible à toute heure de la journée, et comme c'est un débatteur né, il en abuse volontiers.
Cette semaine, il s'en prend aux mails, dont le directeur du nouvel Observateur semble découvrir qu'ils étaient capables des véhiculer les rumeurs les plus immondes (dans le cas présent, il s'agit de rumeurs concernant le soi-disant train de vie des membres de la commission Jospin). Il dénonce donc la calomnie, ce qui est normal, puis déborde un peu sur le "vide juridique" qui présiderait au fonctionnement de la toile et s'en prend aux "adversaires de toute régulation sur Internet"
Evidemment, mais Laurent Joffrin le savait en l'écrivant, et en écrivant précisément ces mots :
Les adversaires de toute régulation d’Internet devraient – parfois – réfléchir aux implications de leur allergie à toute application à la toile des règles professionnelles ou des lois en vigueur dans les autres médias.
(...)
Ainsi les accusations les plus folles, protégées par le vide juridique qui préside au fonctionnement de la Toile, peuvent circuler librement, détruisant les réputations, accréditant les visions les plus complotistes de l’Histoire, faisant, en tout état de cause, le jeu des extrêmes et des adversaires de la démocratie.
Il s'avait qu'il mettait le feu aux poudres. Bon thème, bonnes cibles... Arretons de dire que Laurent Joffrin ne connait rien à Internet.
Et donc ces "adversaires de toute régulation", en fait la plupart des blogueurs journalistes et twittos qui ont réagi à son billet, ont, comme prévu, crié au scandale.
Du coup Laurent Joffrin est remonté dans le radar des buzz de ce début de semaine. Sur celui de Trendsboard (l'outil de détection des buzz que je suis en train de concevoir avec Jean Véronis), le patron du nouvel Obs arrive en sixième position sur les dernières 24 heures, derrière Rihanna et Johnny Halliday, et devant Neil Armstrong. Bien joué.
Sur le fond, le débat est plus flou. Laurent Joffrin ne dit pas à quel type de régulation il pense. Et sur la toile, on lui prête volontiers la tentation du "big brother" :
Faut-il donc désormais contrôler ce que les internautes s'envoient par e-mail comme correspondance privée, pour vérifier qu'ils ne s'envoient pas de fausses informations, comme les libelles circulaient autrefois sous le manteau ?
Cher Laurent, les canonnades de tweets vérolés, les pages Facebook diffamatoires, la délation virtuelle et les caisses de boules puantes dans votre boîte e-mail sont le prix à payer pour l’e-démocratie – comme les attaques sous la ceinture, les meetings haineux, les tracts injurieux et les campagnes électorales malsaines, on en a connu il n’y a pas si longtemps, on en connaît en ce moment même aux Etats Unis, sont le prix à payer pour la démocratie.
Evitons l'escalade. Laurent Joffrin n'est pas allé très loin dans son billet. Il ne parle que de "vide juridique" lorsqu'il associe la diffusion publique d'un message à un acte média.
C'est d'ailleurs là où il se trompe. La diffusion de fausses nouvelles est punie par la loi, qu'il s'agisse de listes de mails, de blogs ou meme de tweets. La jurisprudence s'adapte toujours.
Oui mais le problème c'est "l'anonymat", argumente-t-il. Ah, le fameux anonymat de l'Internet ! Le mythe a encore de beaux jours devant lui.
L'anonymat, comme chacun sait, est très relatif sur Internet. Comme dans la vraie vie d'ailleurs. L'essentiel est que l'infraction soit constituable et assortie d'une sanction. Le reste relève du travail des enquêteurs.
Mais il y a un dernier argument que personne n'a visiblement relevé. Peut-être parce que tout le monde semble d'accord :
Par un étrange renversement, une partie du public considère que ce qui circule anonymement sur le Net est plus fiable que les informations publiques et vérifiées publiées dans les journaux ou sur les sites des organes d’information
"Une partie du public considère que ce qui circule anonymement sur Internet est plus fiable"... Il y a dans cette phrase deux éléments bizarres :
- "Une partie du public" : de qui parle-t-on, sur la base de quelle étude ?
- "considère que ce qui circule anonymement est plus fiable" : là encore, sur la base de quels chiffres ?
Personne n'a relevé ce passage parce que, peut-être, tout le monde (à Paris) s'entend pour dire que les Français sont des imbéciles ? Pas les personnes que nous connaissons, non : les "gens". Vous savez, ces fameux "vrais gens", ces âmes simples qui croient tout ce qu'ils recoivent dans leur boîte mail ? La théorie n'est pas nouvelle, mais elle mériterait d'etre un peu plus argumentée...
En tout cas, bravo pour le coup de buzz. Tout le monde est tombé dans le panneau !