Benoît Raphaël

Les vraies raisons de la mort de "The Daily"

4 Décembre 2012 , Rédigé par Benoît Raphaël Publié dans #the daily, #ipad, #médias, #ruppert murdoch, #journaux, #weekly

The Daily, le premier quotidien conçu exclusivement sur iPad, n'est plus. Après deux ans et des millions de dollars de perte, la dernière expérience digitale de Ruppert Murdoch a rendu l'âme, et tout le monde y va de son billet pour sonner le glas de la presse sur tablettes. Mais les raisons sont plus subtiles, et les conclusions que nous devrions tirer de cet échec devraient être un peu plus pesées.

Tout d'abord, Ruppert Murdoch a toujours échoué sur Internet : il a racheté un MySpace en plein boom pour en faire un cimetière, laissant un boulevard inespéré à son jeune concurrent Facebook. Il s'est entêté à mettre des "paywalls" partout, sans condition, quitte à plomber l'avenir de "The Times". Et il a fondé "The Daily" avec le même esprit borné : un modèle à l'ancienne, payant, mais excessivement coûteux (30 millions de dollars par an), qui nécessitait de rassembler plus de 700.000 abonnés pour survivre. Murdoch a toujours mis l'idéologie avant la compréhension de l'écosystème dans lequel nous vivons : un monde où le gratuit domine, où la mobilité des utilisateurs nécessite des stratégies intelligentes et souples sur le contenu et la distribution pour les atteindre là où ils sont, un monde de surabondance et de flux où la quotidienneté des publications ne peut pas être imposée comme une règle d'airain.

La lecture, et même le paiement pour les news sur tablettes n'est pas une voie sans issue.

Tout d'abord, The Daily rassemblait 100.000 abonnés. Ce qui n'est pas si mal pour un quotidien exclusivement vendu sur iPad, âgé d'à peine deux ans. Et qui a démarré dans un marché en peu mature.

La première erreur de The Daily c'est de s'être agrippé à l'iPad comme seul modèle de distribution. Les possesseurs de tablettes sont de grands consommateurs d'information, ils veulent pouvoir la consulter partout sous plusieurs formes. Quand on parle mobilité cela ne veut pas dire : exclusivement mobile, ou exclusivement tablettes. Mais mobilité, au sens premier : je suis mobile, je veux passer du mobile à un autre écran ou à un support papier quand ça m'arrange, en fonction de là où je suis et de ce que je cherche. Être iPad first, ou mobile first, cela ne veut pas dire qu'il faut oublier le le reste.

Mais la plus grosse erreur de The Daily, ce n'est pas tant sa publication sur iPad que son budget. C'est d'ailleurs le principal handicap des publications à l'ancienne qui peinent à trouver un modèle sur le digital : leur structure de coûts, c'est à dire leur organisation et leurs process, ne sont pas adaptés à ce nouvel écosystème.

La troisième erreur, c'est le rythme de publication, trop lourd pour un démarrage. Une étude montre que 15% des publications d'infos achetées sur iPad sont des quotidiens. Mais 39% sont des magazines, à la publication plus espacée. La lecture des infos sur iPad, hors celles lues via le navigateur web, est anti-mainstream. Les utilisateurs de tablettes, très consommateurs d'infos, cherchent une expérience qui leur fasse gagner du temps et les sortent du flux d'informations en leur permettant de prendre du recul. Pourquoi s'imposer d'emblée une publication quotidienne, coûteuse, dans un monde submergé d'informations ?

La quatrième erreur découle de la seconde : stresser le lecteur saturé d'informations par une publication quotidienne qui ne propose rien de mieux qu'un tabloid à la sauce digitale (avec des vidéos et des infographies) et ne répond pas à ce besoin essentiel que l'on va rechercher dans un espace clos comme une application iPad : sortir du mainstream, apporter de la valeur ajoutée et du recul sur l'info par l'analyse, l'enquête, la synthèse ou l'illustration. C'était ça The Daily : beaucoup de productions propres et coûteuses, qui ne disaient pas grand chose d'autre que les autres médias. Et pas assez de ce que l'on n'aurait trouvé nulle part ailleurs. On peut faire de la valeur ajoutée sans dépenser des millions.

A titre de comparaison, The Magazine (que je trouve un peu raté), c'est un éditeur (le fondateur d'Instapaper) et une poignée de contributeurs produisant des analyses, un budget proche de 0, et un abonnement à 3$ par mois sur iPad et iPhone. The Daily, c'est 120 journalistes produisant un tabloid, 30M$ de budget et un abonnement à 4$ par mois uniquement sur iPad.

Entre ces deux extrêmes, il y a des solutions.

Les vraies raisons de la mort de "The Daily"
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