Benoît Raphaël

Affaire Farid de la Morlette : quand le web joue les justiciers pour le meilleur... et pour le pire

3 Février 2014 , Rédigé par Benoît Raphaël Publié dans #Farid de la Morlette, #vidéo, #chat, #human search engines, #réseaux sociaux, #just delivered, #Daily

Cette histoire est restée en tête des sujets les plus partagés sur Twitter et Facebook pendant plusieurs jours.

Le 27 janvier, un internaute marseillais, "Farid de la Morlette", avide de célébrité et pas très malin, publie sur son compte Facebook une vidéo abominable le montrant en train de jeter un chaton contre un mur.

Comme il pouvait s'y attendre, il est rapidement devenu célèbre...

Sur le web, l'indignation est totale. La colère s'enflamme comme une trainée de poudre. Elle choque les simples internautes comme vous et moi, les défenseurs des animaux, mais aussi les mouvements extrémistes et racistes. Une sorte d'"union sacrée" complètement chaotique et émotionnelle. Mais qui donne rapidement des résultats.

En quelques heures, une véritable chasse à l'homme s'engage sur les réseaux sociaux. Des pages Facebook sont créées (des vraies et des fausses), plusieurs pétitions sont lancées, cumulant plus de 400K signatures).

Sur le site américain 4Chan, bien connu des hackers pour ses chasses à l'homme à grande échelle, un internaute anonyme demande l'aide de la communauté pour retrouver le tortionnaire de chats en donnant les informations de sa page Facebook.

Affaire Farid de la Morlette : quand le web joue les justiciers pour le meilleur... et pour le pire

Bref, la chasse est lancée dans la plus grande pagaille, et la Police Nationale bénéficie rapidement d'une vraie opération de "crowd-investigation", une enquête participative à laquelle la meute internaute contribue en masse. 

Farid est finalement arrêté. Et c'est sur sa page Facebook, que la Police Nationale donne des nouvelles de l'opération, et évoque la "forte mobilisation sur Internet" pour les aider à indentifier et interpeller le suspect :

 

La gendarmerie nationale remercie également la communauté sur son compte Twitter pour avoir aidé la police à identifier le jeune tortionnaire.

Affaire Farid de la Morlette : quand le web joue les justiciers pour le meilleur... et pour le pire

Evidemment, nous sommes tous heureux de voir ce demeuré interpellé et traduit en justice. Egalement, de savoir que le chat, malgré une patte cassée, est sain et sauf. Là encore, le propriétaire du chat a fait appel à Internet pour retrouver l'animal.

Ce n'est pas la première fois que les réseaux sociaux se transforment en terrain de jeu pour les justiciers de tous poils.

Ce phénomène d'enquête participative n'est pas nouveau.

En 2010, une femme qui avait jeté un chat dans la poubelle, a été retrouvée par les internautes et traduite en justice. Elle a également reçu des centaines de menaces de mort.

Affaire Farid de la Morlette : quand le web joue les justiciers pour le meilleur... et pour le pire

Ou encore en Chine, où une femme avait publié une vidéo érotique dans laquelle elle écrasait un chaton à coups de Stilettos...

Affaire Farid de la Morlette : quand le web joue les justiciers pour le meilleur... et pour le pire

Plus récemment, une vidéo montrant des jeunes martyrisant un handicapé commence à créer le buzz depuis quelques heures.

Les tortionnaires sont désormais prévenus : ils seront pendus haut et court par les Josh Randall du web

En Chine, ce phénomène est appelé "human search engines". Les citoyens internautes se mobilisent pour retrouver toute personne qu'ils estiment "agir mal" pour l'humilier en public et, éventuellement, la dénoncer à la police ou à son patron.

Reste à définir ce que l'on appelle "agir mal".

Cela peut-être une phrase raciste. Et le monde entier se ligue pour un lynchage international en règle, allant même jusqu'à prendre le suspect en photo dans la rue et poster le tout sur le web. Ce fut le cas de Justine Sacco, traquée sur le web pour un tweet stupide.

Ou encore celui de ce mari infidèle...

Mais la justice du web ne s'arrête pas là. Elle frappe aussi n'importe qui, n'importe comment. Il suffit d'avoir un handicap ou d'avoir eu le malheur d'être pris en photo ou en vidéo dans une situation ridicule.

Ici, une jeune fille qui a eu la mauvaise idée de s'habiller en victime de l'attentat de Boston pour Halloween.

Et parfois, il n'y a pas de "morale" derrière le lynchage. Vous vous rappelez sans doute de l'histoire de Jessi Slaughter, une pré-adolescente de 11 ans, poursuivie par la meute, sur 4Chan, qui avait retrouvé son identité et son adresse postale. Juste pour se moquer.

Que faut-il en penser ?

Le phénomène de meute n'est pas né avec Internet. Il s'est simplement accéléré. Dans ce qu'il peut avoir de positif (la mobilisation et l'indignation) et de dangereux (l'appel à la vengeance ou à l'humiliation). Il est surtout incontrôlable. Et pas du tout virtuel.

Tandis que l'on s'inquiète, souvent légitimement, de ce que les moteurs de recherche ou les plateformes de réseaux sociaux font ou feront demain de nos données personnelles, on oublie parfois que le vrai "Big Brother" est surtout humain. Un "Google" humain et collectif, une sorte d'égrégore créé par les interconnections infinies du réseau, et capable de détruire une réputation ou une vie privée en quelques minutes. Comme il est capable de dénoncer des pratiques illégales ou contraire à l'éthique et aux droits de l'homme. Comme il est capable d'accélérer une révolution.

Difficile donc de juger la mécanique qui permet d'amplifier ces phénomènes.

Je suis originaire d'une région montagnarde et, dans mon pays, on a coutume de dire que ce n'est pas parce que la montagne est dangereuse qu'il faut l'interdire. Il faut juste éviter d'y aller en espadrilles. Et apprendre à prévenir les avalanches...

Il est donc nécessaire de prendre conscience du risque pour s'en protéger. Comme il est également nécessaire de continuer de protéger cette neutralité brute du réseau. Pour éviter que la régulation se transforme en censure.

D'ailleurs, comme une réaction naturelle à ce phénomène, les réseaux sociaux éphémères (comme Snapchat) se multiplient désormais sur la toile, qui permettent de publier ce que l'on veut sans risquer de faire face à la justice de la meute. Ou à une viralisation non souhaitée.

A nous de trouver l'équilibre.

Un équilibre qui passe par une meilleure connaissance de ce nouvel univers, dont les règles changent chaque jour. D'ailleurs, cet apprentissage ne devrait-il pas commencer dès l'école ?

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