Jean Véronis : l'adieu et l'héritage
Il m'a fallu plusieurs jours pour me sentir capable de prendre la parole après le décès de mon ami et associé Jean Véronis. Chez Trendsboard, nous sommes tous encore sous le choc. Nous avons passé ces derniers jours à nous réconforter les uns les autres, à prendre soin de sa famille et à préparer l'avenir
Je publie ci-dessous l'hommage que j'ai prononcé lors des obsèques de Jean Véronis, vendredi 13 septembre. Il m'a semblé important de le partager avec les lecteurs de ce blog ainsi qu'avec tous ceux qui connaissaient et appréciaient Jean, intimement, professionnellement ou à travers ses écrits.
J'ai eu la joie et la fierté de partager avec Jean Véronis les deux dernières années de sa vie professionnelle.
Deux années portées par cette passion et cet absolutisme qu’on lui connaissait. Deux années durant lesquelles nous sommes devenus très proches. Parmi les derniers mots qu'il m'a laissé et dont je veux me souvenir, au détour d'une ses confidences, alors qu'il vivait un moment difficile de sa vie, il y eu ce "je t'aime, tu es mon frère".
Je ne me remettrai pas de la mort de Jean. On ne se remet pas de la mort d'un frère d'âme. D’un être aimé. On vit avec.
Mais je voudrais aujourd'hui donner du sens à ce qu'il nous a laissé. Et cette histoire, celle que nous entamons aujourd'hui sans lui, commence par ce qu'il était.
La raison pour laquelle nous tous, nous sentons tellement orphelins, tellement atteints par sa disparition, c'est parce que Jean faisait partie de ces grandes âmes qui vous rendent plus beaux et plus enthousiastes.
On a dit de lui, dans les hommages qui se sont multipliés sur cette toile du Net qu'il aimait tant triturer et explorer, qu'il était un génie des mots, d'une intelligence rare, qu'il était humble, que c'était un éternel passionné, que son oeuvre a inspiré nombre de blogueurs et de chercheurs. Je ne m'étendrais pas sur ces qualificatifs, ils sont tous vrais.
Vous connaissez tous sa carrière. 30 ans de recherche en analyse sémantique, dans ce qu'on appelle le traitement automatique des langues et qui forme aujourd'hui cette nébuleuse d'avenir qu'est le Big Data.
Jean a contribué à donner du sens au web. Le sens des mots, comme révélateur des êtres et des tendances
Jean était un précurseur. Il était l'homme du monde qui vient et il est parti trop tôt.
Au delà du pionnier, j'ai toujours vu en Jean Véronis le magicien. Plus que le scientifique.
Quand j'ai commencé à travailler avec Jean je ne comprenais pas bien comment marchaient ses algorithmes. Bien sûr, au fil des mois, j'ai commencé à prendre conscience de l'impressionnante mécanique qu'il avait mis en place durant toutes ses années de recherche et de projets, des vertigineuses formules mathématiques et statistiques aux tableaux complexes où se mêlaient les mots et les nombres, cette science précise au croisement de plusieurs disciplines.
Jean était un scientifique, animé par la soif de la découverte, mais pour moi il est toujours resté un magicien.
Et pas n'importe quelle magie. La magie des mots et de ce qu’ils cachent. Une sorte de kabbale numérique qui ne manquait jamais de poésie.
Il y avait toujours du panache et du jeu dans cette poésie avec laquelle Jean prenait plaisir à écorner sa science et son intelligence.
Jean jouait avec la pensée comme il le faisait avec ses formules. C'est pour cela qu'il s'engageait avec cet enthousiasme des grands enfants dans tous les défis qui se présentaient à lui. Dans tout ce que l'analyse des mots pouvait révéler de l'état du monde, et de la nature humaine.
L'analyse du web social, le datajournalisme, le sens des discours politiques, mais aussi les mots des blogueurs et de Twitter, cette pensée populaire plus ou moins spontanée dont il avait senti le vent de liberté que ces derniers faisaient souffler sur un monde un peu trop étriqué pour lui.
Jean était un entrepreneur autant qu'un penseur. Justement parce qu'il était joueur.
Et ce que Jean nous a laissé, à nous, les artisans de Trendsboard, cette petite start-up créée en 2012, dans laquelle il avait légué ses 30 années de recherche et de passion, dans laquelle il avait mis sa dernière énergie, ce qu'il nous a laissé, c'est sa noblesse.
C'est une certaine vision de la liberté. La liberté de l'esprit, la liberté de conscience, une liberté rendue indestructible par des valeurs fortes. Par un sens profond de la morale, de la loyauté, de l’amitié. Par une certaine idée de l'homme.
Jean était un passionné. Il écoutait d'abord son coeur. Même si parfois son coeur lui jouait des tours. Il s'engageait dans la vie comme un adolescent. Il préservait une certaine folie dans sa grande sagesse.
Nous gardons tous de lui le souvenir de son rire, de ses yeux, et de ses mains. Cet enthousiasme constant et communicatif, cette malice pétillante du génie, et ce panache dont il aimait envelopper chaque moment.
Jean était un ami magnifique, un père lumineux, un mari tellement généreux. Un scientifique, tellement différent.
Jean va nous manquer. Terriblement.
Il laisse à son équipe, à Thomas, Stéphanie, Julien, Loic, Isabelle. Mais aussi à Estelle, son épouse, qui l'a toujours accompagné dans sa quête, une oeuvre forte et inachevée. Il nous laisse la douleur et l'héritage.
C'est une porte que je n'ai pas envie de fermer. Tout ce qu'il a semé en nous, nous allons en faire quelque chose de plus beau encore.
Je ne veux pas laisser à la mort, et encore moins à Dieu, en qui il ne croyait pas, les fruits d'une telle intelligence, d'une telle générosité, d'un tel amour.
Parce que, à travers nous tous, ses héritiers, amis, épouse, enfants, collaborateurs, Jean Véronis peut encore apporter tellement de choses.
Jean Véronis et la petite famille Trendsboard, au mois de mars 2013 à Lambesc.
Crédits photos : B.Raphaël