Benoît Raphaël

La belle histoire derrière l'application "Je suis Charlie"

11 Janvier 2015 , Rédigé par Benoît Raphaël Publié dans #Nice Matin, #Charlie Hebdo, #Empowerment, #médias

C'est une histoire qui porte plusieurs symboles. Qui nous offre l'opportunité d'être un peu optimiste après l'horreur du 7 janvier et par ce qu'elle nous dit du monde qui vient.

L'histoire commence à Nice. Elle fait intervenir quatre protagonistes : deux développeurs niçois, Tim Cook le patron d'Apple, et le quotidien régional Nice Matin. Elle est racontée ici par Eric Galliano, reporter à Nice Matin.

Ces deux développeurs se font appeler "Charlie" et "Charlie". Ils ne cherchent pas la publicité. Juste à participer au formidable mouvement qui secoue la France depuis le 7 janvier.

Vendredi matin, "Charlie" s'est donc réveillé avec une idée dans la tête. Qui ne l'a pas quittée de la journée. C'était a priori impossible. Mais avec son associé, ils ont tenté le coup.

Leur idée : dimanche, nous serons des millions à manifester. Mais si nous étions des milliards ? Si une application permettait à chacun de se géolocaliser pour afficher le logo "Je suis Charlie" et montrer au monde entier, et à tous les obscurantistes, que les Charlie sont partout dans le monde. C'est aussi ça manifester à l'heure d'Internet. Amplifier la rue, la rendre globale.

Bref. Le problème, c'est que pour lancer une application sur le store d'Apple, il faut bien sûr la développer, mais il faut surtout la faire valider par Apple. Une opération qui prend au minimum 10 jours. Personne n'échappe à la règle.

Charlie envoie donc un mail à Tim Cook. Qui doit en recevoir 10000 par jour.

10 minutes après, nos deux codeurs reçoivent un mail de son assistant : "On vous suit". Apple s'engage à réduire sa procédure pour que l'application soit accessible sur son store en moins d'une heure. 10 minutes après !

Seule condition, racontent-ils à Nice Matin, "ils nous ont fait remarquer que notre petite start-up n'avait pas assez de résonance.Ils nous ont conseillé de demander le concours d'un éditeur de presse. Évidemment on a pensé à Charlie Hebdo, mais vu les circonstances... Alors, comme on est niçois, ça nous est venu tout naturellement de contacter Nice-Matin."

C'est Denis Carreaux, le nouveau directeur adjoint de la rédaction, qui reçoit le mail. Sa réponse est aussi spontanée que celle d'Apple. C'est oui !

Les deux "Charlie" se mettent donc à coder et livrent l'application le lendemain soir. Aujourd'hui, elle est en ligne, et vous pouvez la télécharger ici. Il y a même une version Android...

La belle histoire derrière l'application "Je suis Charlie"

Il y a beaucoup de symboles dans cette histoire, mais celui qui me frappe le plus, c'est la décision, très spontanée, de Nice Matin de porter ce projet citoyen. Sans s'en vanter. Juste en demandant à ses informaticiens d'envoyer l'application à Apple. Et en racontant simplement l'histoire dans son journal. Précisant, sans trop en faire, qu'ils ont accepté de participer à l'aventure pour que l'appli sorte à temps.

Nice Matin, vous le savez peut-être, était au bord du dépôt de bilan l'an passé. Fin novembre, après des mois de lutte, le journal a été racheté par ses salariés... et par ses lecteurs qui se sont mobilisés à travers une campagne de crowdfunding.

Aujourd'hui, pour ses lecteurs, ce n'est pas seulement un journal. C'est LEUR journal. Ils en sont actionnaires. Nice-Matin est en train de faire des habitants de la région non seulement des lecteurs, mais aussi des acteurs. C'est d'une modernité absolue. Et ce qui s'est passé mercredi après la tuerie de Charlie Hebdo, ce soulèvement massif de la population, et de millions de personnes dans le monde, c'est que nous avons réalisé combien il était important d'avoir des médias. Nous avions oublié, privilégiés que nous sommes, nous, citoyens des démocraties, c'est la liberté d'expression est un incroyable privilège. Mercredi, nous avons réalisé que nous pouvions mourir pour ce droit fondamental. Et nous avons redécouvert, dans la douleur, l'importance d'avoir des médias. Mieux, nous sommes tous devenus médias en inondant les réseaux sociaux de nos messages et de nos dessins.

C'est pour cela qu'il faut se battre pour soutenir ceux qui en font leur métier. Et qui aujourd'hui, prennent le risque de le faire. Parce que c'est devenu un combat. Même dans une démocratie.

Et ce n'est pas anodin que cette application ait été publiée grâce à la diligence d'un média, Nice Matin, qui est en train de se relever parce que ses lecteurs et ses salariés sont, un jour, alors que ça paraissait impossible, décidé d'entrer en résistance.

C'est ça le média de demain : après les médias unilatéraux surpuissants, après les médias participatifs des années 2005-2010, les nouveaux médias sont des médias d'empowerment : ils transforment leurs lecteurs en acteurs. Pas en journalistes. Mais, quelque part, en propriétaires. En co-fondateurs. Puis en acteurs citoyens et éclairés. Ces médias se construisent avec eux. Tous Charlie. Et tous médias.

Bonne manif.

(Disclaimer : Nice Matin est un client. Je participe depuis le mois de décembre à cette belle histoire en accompagnant les salariés dans la modernisation de leur journal)

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