Benoît Raphaël

Bonnegueule.fr est le modèle à suivre pour les médias et pour les marques. Voici pourquoi

4 Janvier 2016 , Rédigé par Benoît Raphaël Publié dans #entreprenariat, #mode, #médias, #bonnegueule.fr, #France

L'histoire a commencé par un simple blog. Par une rencontre entre deux jeunes étudiants. Qui voulaient juste partager leur passion : la mode masculine. Une mode un peu militante. Qui aurait des valeurs. 6 ans plus tard, Bonnegueule.fr fait 2,5M€ de chiffre d'affaires et double es revenus chaque années. Les deux jeunes étudiants sont devenus deux patrons heureux. Ils sont restés humbles. Et, surtout, ils n'ont pas eu à trahir leurs idéaux. Et c'est justement pour ça que ça marche. Récit d'un modèle du genre, dont tous les médias devraient s'inspirer. Mais aussi les marques.

Pourquoi s'inspirer d'un "simple" blog ? Vous allez vite comprendre.

Page d'accueil du site Bonnegueule.fr

Page d'accueil du site Bonnegueule.fr

Leur premier article de l'année 2016 commence comme ça : "2016 nos projets avec vous". Depuis plus de 5 ans, Bonnegueule.fr s'est construit avec sa communauté. Elle le lui rend bien. C'est une histoire d'amour et de respect mutuel qui n'est pas prête de s'arrêter.

Ce qui est exemplaire chez Bonnegueule.fr ? C'est qu'à l'heure où l'on dit que les marques doivent devenir média, c'est la première marque de mode à avoir commencé par un média. Cela fait longtemps que je l'écris sur ce blog : construire un lien fort avec sa communauté à partir de la création de contenus est devenu un pilier essentiel pour construire sa marque ou son média. On appelle ça le "brand content". Mais il n'est pas toujours sincère. Il devrait l'être. Bonnegueule.fr le confirme avec brio. Et générosité.

Tout commence en 2007. Benoît Wojtenka crée le blog Bonnegueule.fr. Un blog de passionnés. Un blog de niche. Centré sur le conseil : comment bien s'habiller même si on a pas passé sa jeunesse dans le 16eme arrondissement ? Benoît sort de ses études. Telecom école de management, plus précisément. Aucun lien entre son école et son blog, sauf un : c'est aussi là que Geoffrey Bruyère fait ses études. Surtout, ils ont la même passion pour les fringues.

En 2010, ils décident donc de développer le blog ensemble. Parce que ça leur plait.

Ils n'imaginaient pas que, 5 ans après, ils en feraient un business prospère.

Et ils ne l'imaginaient pas parce que Bonnegueule.fr est aujourd'hui un ovni dans l'univers des médias, et aujourd'hui de la mode.

Benoît Wojtenka et Geoffrey Bruyère, co-fondateurs de Bonnegueule.fr (photo GB)

Benoît Wojtenka et Geoffrey Bruyère, co-fondateurs de Bonnegueule.fr (photo GB)

Sur le site, zéro pub. Un vrai parti-pris. Une éthique. Comment conseiller aux hommes les meilleures marques si on héberge de la pub pour ces mêmes marques ? Problème du coup : le site ne gagne pas d'argent. A l'époque, Benoît fait un peu de relooking en freelance et Geoffrey, qui n'avait que 23 ans, était encore à la fac. Ils décident alors de lancer un e-book de conseil pour bien s'habiller. "Quand on a vu les chiffres après le premier mois de lancement, on a halluciné", raconte Geoffrey. 5000€ en quelques jours. Et puis chaque mois, 5000€. "On s'est dit : on peut peut-être vivre du blog... vivre de notre passion surtout."

Aujourd'hui, le guide se vend toujours. Il existe aussi en version papier...

Bonnegueule.fr est le modèle à suivre pour les médias et pour les marques. Voici pourquoi

Depuis, les fondateurs ont tenté tous les modèles, ont pivoté une dizaine de fois, avant de trouver leurs marques.

"On a même fait un Mooc (une formation en ligne) en 2012". Le produit est vendu 200€, ils en vendent 200 tous les six mois. "Mais là encore, si le modèle était intéressant au lancement, à chaque fois on atteignait un pic et puis ça retombait".

Aujourd'hui, les publications de Bonnegueule.fr représentent 2 à 3% du chiffre d'affaires. Le reste ? La création et la vente de leur propre ligne de vêtements. En moins de trois ans, l'activité lancée sur un presque malentendu, a propulsé le média dans la sphère des grands.

Une ligne fait-maison : C'est Benoît qui dessine les vêtements. Et c'est aussi lui qui sert parfois de mannequin...

Une ligne fait-maison : C'est Benoît qui dessine les vêtements. Et c'est aussi lui qui sert parfois de mannequin...

En 2012, toujours, Bonnegueule décide d'aller plus loin. Puisque leur communauté leur fait confiance pour bien s'habiller, pourquoi ne pas mettre leurs conseils en pratique dans un vrai vêtement, dessiné par eux ? Evidemment, ils ne connaissent rien au marché très complexe et un peu hypocrite du prêt-à-porter. Alors ils s'associent à une marque de vêtements (Renhsen) pour créer un modèle de jeans. Pas n'importe quel modèle : ils veulent qu'il soit créé à partir d'une toile japonais, la crème de la crème en terme de tissu, et suffisamment rare à l'époque pour que ça soit remarqué.

L'histoire bascule juste après. Cette même année, la marque Dockers propose au blog une campagne assez originale autour d'une nouvelle ligne, une sorte de road-trip aux USA, aux racines de la marque. Au dernier moment, Dockers annule la campagne. Benoît et Geoffrey avaient déjà leurs valises prêtes. Ils étaient super motivés. Donc super déçus. Alors ils se disent : tant pis, on va quand même le faire ce voyage. Et on va le faire pour raconter une histoire de notre premier modèle de jeans. Pendant plusieurs semaines, ils vont parcourir tous les lieux mythiques de la tradition américaine du jeans, et faire des photos qu'ils partagent avec leur communauté.

Le jean Renhsen Bonne Gueule, en vadrouille dans l'Ouest américain...

Le jean Renhsen Bonne Gueule, en vadrouille dans l'Ouest américain...

"Sans le savoir, on avait fait du brand content". Surtout : leur démarche est authentique. Leur jean est le fruit de leur expérience et de leur passion. C'est le jean qu'ils rêveraient de porter. Et puis ils se sont beaucoup amusés à faire ce road-trip improvisé, et ça se sent.

Résultat : "On avait prévu de vendre 150 jeans à 160€ en un an. Deux jours après la fin de la campagne, on les a tous vendus en... deux jours !"

Voilà.

Et ce n'est pas fini.

En 2013, Bonnegueule multiplie les collaborations avec les marques qu'ils aiment ("Comédie Humaine", "Aigle"...), avec toujours autant de succès. La rupture de stock est devenu leur quotidien.

Alors ils vont plus loin. Et prennent des risques. En 2014, ils créent leur propre ligne originale.

Et en 2015, ils ouvrent leur boutique à Paris, 14 rue des Commines. Une boutique à leur image : leur ligne de vêtements, plus quelques marques qu'ils aiment. Mais aussi le conseil en boutique, qui ne sont pas là pour "vendre" mais pour vous aider à bien vous habiller. A acheter moins, mais mieux. Leurs produits, ou ceux des autres.

Vous allez me dire : mais pourquoi ils n'ont pas commencé par une boutique ? Parce que ça n'aurait sans doute pas marché. Entre la boutique et le projet initial, il y a 5 ans. 5 ans à construire une histoire et une relation de confiance avec une communauté. 5 ans de média. Et puis la boutique, c'est encore la communauté. Un lien plus physique, cette fois. C'est essentiel.

Bonnegueule.fr est le modèle à suivre pour les médias et pour les marques. Voici pourquoi
Bonnegueule.fr est le modèle à suivre pour les médias et pour les marques. Voici pourquoi

En 2015, Bonnegueule aura fait 2,5M€ de chiffre d'affaires, le double de 2014. Dans ces revenus, 95% viennent de la vente de vêtements. Et sur ces 95% seuls 15% sont issus de collaboration.

Entre-temps, le petit blog qui faisait 30.000 visites par mois et avaient 10.000 abonnés à leur newsletter de conseils, fait aujourd'hui 300.000 visites et 60.000 abonnés. C'est le premier média de mode masculine en France. Devant GQ.

Pas mal.

Très bien même.

Alors pourquoi ça marche ?

Bonne question.

Voici la réponse :

1. Tout d'abord, la démarche de Bonnegueule est authentique. Et c'est justement parce qu'ils ont commencé comme média que l'on ne peut pas remettre en cause cette authenticité. Avant d'essayer d'en faire leur gagne-pain, il y avait d'abord la passion, et une certaine vision de ce que devrait être, selon eux, un marché de la mode qui respecte ses clients. Parce qu'ils ont d'abord été clients. Et qu'ils n'ont jamais cessé de l'être. Ils l'ont écrit dans un manifeste :

Nous sommes transparents, indépendants, communautaires, passionnés, et surtout assez fous pour croire qu'on peut faire bouger les choses dans la mode masculine (...)

Nous dénichons pendant des mois les meilleures marques et les meilleures usines : les seules capables de produire les vêtements dont nous rêvons, et avec des coûts maîtrisés.

On élabore nos produits et nos articles avec une vraie passion du produit : aucun article que nous n'aimerions pas lire nous-même, aucun vêtements que nous ne porterions pas nous-même. Sinon, ça ne rimerait à rien.

Nous pensons que nos clients ont le droit de savoir ce qu'il y a derrière chaque produit : les standards de qualité, les mains qui l'ont conçu, la provenance à chaque étape, les coûts.

On vous rend le contrôle : nos clients savent tout, et on les fait participer aux décisions. C'est eux qui décident de populariser BonneGueule ou non, et à la fin d'acheter, toujours en connaissance de cause. C'est à la fois ce qui nous force à rester nous-même, et nous motive à donner le meilleur.

(Extrait du manifeste de Bonnegueule)

"On se considère parfois comme les Mélanchon de la mode", plaisante Geoffrey. "Le système de la mode est pourri par la pub et par les marges énormes" (coucou The Kooples). "On veut remettre en avant le savoir faire, la qualité, on veut éduquer le consommateur. On veut apprendre, même à ceux qui ont un petit budget, à consommer moins mais mieux. On veut des vêtements qu'on garde longtemps, qui se patinent au lieu de s'user. La marque est devenue un totem inspirationnel alors qu'elle devrait être celle de l'artisan qui a mis tout son talent et son temps dans son produit."

2. C'est une marque transparente, qui laisse une partie du contrôle aux consommateurs, qui indique clairement ses marges quand on les lui demande, en expliquant comment ça marche. "De même, quand on donne des conseils, on ne met jamais en avant nos produits. C'est un principe, une éthique. Tout notre business repose sur la confiance".

3. C'est une marque généreuse et bienveillante : éduquer les gens, mais aussi proposer le prix le plus correct en compressant les marges et en éliminant le marketing. Le marketing c'est le média. Bonnegueule, c'est 0€ de pub ("sauf un peu de pub Facebook ponctuellement").

4. C'est une marque qui a créé sa propre clientèle. Elle n'existait pas avant le média. Plutôt que de se contenter des quelques bobos ou hipsters sensibles à ce genre de discours, Bonnegueule a fait le choix d'éduquer son audience, et d'élargir le marché.

C'est aussi une autre vision du luxe : le luxe non pas comme un marqueur social, mais comme un marqueur de vie. Un édonisme généreux, qui essaie d'emmener tout le monde dans un mouvement. Un mouvement plutôt qu'un business.

Et ça marche.

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