Quel est le business de l'AFP ?
Dans une interview au monde, Emmanuel Hoog, le nouveau président de l'Agence France Presse (AFP) veut proposer des services gratuits et payants au grand public, sur iPad et sur les réseaux sociaux, suivant par là même une voie déjà ouverte par ses grandes soeurs AP et Reuters.
Sur son blog, Emmanuel Berretta met en garde : à défaut de parvenir à maintenir son offre commerciale à destination des journaux, de plus en plus réticents à payer, l'AFP prend le risque de les concurrencer. Et de se retrouver en position d'aller chercher 125 millions d'euros auprès de l'Etat.
Compliqué, argumente mon confrère : "le gouvernement cherche par tous les moyens à économiser de l'argent jusqu'à imaginer soumettre Canal + à une très forte hausse de la TVA."
Deuxième problème : "si de l'argent public doit permettre à l'AFP de faire concurrence aux journaux, il y a tout lieu de penser que Bruxelles y verra une sacrée distorsion de concurrence..."
Pour aller plus loin, la question qui se pose aujourd'hui, alors que la troisième agence mondiale se trouve à un tournant de son histoire, c'est bien : quel est, quel doit être le métier de l'AFP ? -
Vendre des dépêches d'informations dont l'essentiel du contenu est accessible publiquement sur Internet, à des journaux qui ont déjà le couteau sous la gorge ?
Réponse de Hoog: l'avenir n'est pas là. "Nous devons sortir d'un système strict où les agences vendent des contenus aux journaux, qui les vendent au grand public. Cette histoire de pré carré témoigne d'une vision malthusienne des choses, alors que la consommation d'informations dans le monde connaît une croissance exponentielle."
- Vendre des contenus au grand public ? Je ferais la même réponse que pour les journaux : comment vendre de l'information dont l'essentiel du contenu est accessible publiquement sur Internet, à des individus qui ont déjà le couteau sous la gorge... et la culture du gratuit ? Mais alors quoi ? Si tout le monde s'entend pour dire que la production de l'AFP est utile au business de l'information, tout comme à l'information en général, son modèle de financement est en danger. A moins de transformer l'AFP en service public (ce qu'elle n'est que partiellement), financé par une sorte de redevance ou de taxe prélevée sur les revenus des médias (pourquoi pas finalement ?), la question qu'il faut se poser aujourd'hui c'est bien : quel est le business de l'AFP dans le nouvel écosystème de l'info ?
Une piste : il y a, et il y aura de plus en plus d'informations produites, partagées, remixées, analysées, sur Internet. Un exemple : La présidentielle 2012 sera un dazibao d'infos : les médias évidemment, mais aussi, de plus en plus, les contenus produits par les blogueurs, par des journalistes indépendants, par des sites d'info éphémères, mais surtout par les militants, les politiques, les candidats, qui préparent déjà leurs propres médias et leurs propres réseaux sociaux pour toucher directement leurs lecteurs sans passer par les médias. Qui va trier ? Qui va vérifier ?
Qui va tirer de la valeur de cette nouvelle matière brute ? Car le champ de récolte de l'info n'est plus seulement sur le terrain réel, mais aussi sur la place publique virtuelle qu'est devenu ce territoire de l'ancienne audience, pour reprendre les mots de Jay Rosen.
Le vrai business de l'AFP n'est-il pas celui du service ? Et sa mission n'est-elle pas de passer aujourd'hui de celui, restreint, de production brute de l'information (qui est noyée dans la masse de contenus produits et reproduits, et doit être gratuite) à celui de récolte, de tri et de vérification de l'information ? D'organiser cette récolte, d'offrir les bons outils, d'analyser les tendances, de trier les données numériques (datajournalisme), d'accompagner les médias dans le tri et la vérification ?
Bref, du service, de l'usage, pas de l'info. D'autres idées à partager ?
(Illustration : Emmanuel Hoog - photo AFP, justement...)
>MUTATION : L'AFP veut concurrencer les journaux, actualité Médias 2.0 : Le Point.