Benoît Raphaël

GOOGLE PANDA. Pierre Chappaz : Pourquoi j'ai "tué" Wikio

6 Septembre 2011 , Rédigé par Benoit Raphaël Publié dans #Weekly, #just delivered, #content farm, #e-Buzzing, #Google, #Google Panda, #Pierre Chappaz, #wikio

Il aurait pu  dire "Panda m'a tuer". Après l'impact désastreux du nouvel algorithme de Google sur Wikio News, et surtout sur son dernier projet de ferme à contenus (content farm), "Wikio Experts", la messe semblait être dite. Mais pour Pierre Chappaz, l'effet Panda a été plutôt l'occasion d'une renaissance. J'ai toujours été admiratif devant le pragmatisme de Pierre Chappaz. Après avoir co-fondé Kelkoo (et l'avoir revendu au bon moment), Pierre s'est lancé dans l'aventure de l'info et des médias sociaux avec une vraie vision et beaucoup d'énergie. Aujourd'hui, il décide d'abandonner son bébé pour concentrer l'activité de son groupe sur la publicité sociale en ligne, avec e-Buzzing, une start-up spécialisée dans la mise en relation entre influenceurs et marques. Sans hésitation. Après avoir fusionné avec e-Buzzing et la plateforme de blogs Overblog l'an passé, Wikio group va s'appeler tout simplement "e-Buzzing". Un virage à 90°, courageux, pour un entrepreneur capable de reconnaître ses erreurs et d'en tirer rapidement les conséquences. En France on a toujours eu un problème avec l'échec. Aux Etats-Unis, c'est le contraire. Être capable de se tromper et d'en tirer les conséquences fait partie de la culture d'entreprise gagnante. Pierre Chappaz en fait la démonstration. En se coupant de son activité historique, il lève 17M€ et valorise son groupe à 100M€. Chapeau ! J'avais donc beaucoup de questions à poser à Pierre. Il a gentiment accepté d'y répondre, avec sa franchise habituelle : Abandonner le projet Wikio sur lequel tu travailles depuis de nombreuses années, ça a été une décision difficile à prendre ? Oui, parce que Wikio c'était mon bébé depuis 6 ans quand même. Je ne compte plus les milliers d'heures passées à travailler sur toute la technique du site. Et tu sais comment on s'investit quand on monte un projet. Donc, oui, c'est dur, mais en même temps c'est réaliste. En même temps, le rapprochement avec e-buzzing il y a 18 mois c'était un peu une anticipation de ça. D'ailleurs j'ai écrit il y a quelques mois un article sur mon blog, à l'occasion du passage de Panda en Angleterre et aux US, où j'expliquais pourquoi je n'avais pas peur de Google. et l'idée c'était déjà ça. Mais le challenge du B to C (business to consumer) est plus ancien que ça : depuis plusieurs années Google a comme politique d'éliminer les intermédiaires. Donc réussir à faire un site de B to C qui soit comme Wikio un agrégateur d'information, c'est tout simplement mission impossible. Puisque les internautes sont très googlisés. Google a possède pourtant le premier des agrégateurs avec Google News... Oui. Avant Panda il y a eu la mise en avant de Google News, de Google Shopping... Il y  a eu aussi en 2010 un précédent changement d'algorithme (Google Mayday), donc ce n'est pas nouveau. Il y a une volonté, depuis longtemps, d'éliminer toutes les intermédiaires qui sont les moteurs de recherche spécialisés. Pourquoi ? Parce que les revenus de Google sur sa plateforme de recherche généraliste plafonnent un petit peu, donc il va manger dans son écosystème. Ça fait donc 2 ans que, stratégiquement, j'en ai tiré les conséquences, et c'est pour cela qu'il y a 18 mois, j'ai fusionné avec e-Buzzing. Ce sont les résultats de Panda (-40% de visibilité sur Google) qui t'ont poussé à fermer Wikio ? C'est une décision mûrement réfléchie. Pour Wikio News, au fur et à mesure que Google mettait la tête sous l'eau aux intermédiaires, on a vu l'audience diminuer et les revenus avec... or, les efforts à fournir pour ne serait-ce que maintenir le service restaient considérables. Panda a été l'occasion d'officialiser cette décision. Quand tu as monté Wikio Experts il y a un an, il y avait déjà une grosse polémique sur les fermes à contenus (y compris sur leur viabilité). Est-ce que tu regrettes d'avoir lancé ce site ? Etait-ce une erreur de ta part et si oui, qu'est-ce que ça t'a appris ? C'est difficile de répondre à une question aussi bien formulée... C'est difficile de dire qu'on regrette.  Je pense qu'il y a des idées qui sont valables dans ce qu'on a appelé le contenu à la demande  (le principe qui régit les fermes à contenus), et qui sont susceptibles d'aider la production de contenus à trouver dans l'avenir des bases économiques meilleures. L'idée fondamentale c'est que, à la différence des médias traditionnels qui écrivent des articles en espérant qu'il y aura des lecteurs, on part de la demande des internautes (exprimée sur les moteurs de recherche et les réseaux sociaux) et d'essayer d'y répondre. Je pense que, en terme de stratégie marketing, beaucoup de médias vont, dans l'avenir, travailler dans ce sens là. Pourtant Panda défavorise les fermes à contenus. Tu penses qu'il y a quand même un avenir ? Autant je pense que l'idée de départ est intéressante pour les raisons que je viens de t'expliquer, autant  la manière dont on a voulu la réaliser à travers "Wikio Experts" était une erreur. Parce que l'on a produit des contenus qui étaient d'une qualité très variable. On ne peut pas dire tous insuffisants,mais très variables. Certains étaient bons et d'autres carrément insuffisants. Et le principe de payer des rédacteurs à un prix fixé à l'avance (par article) n'est pas la meilleure manière de produire des contenus de qualité.  Il vaut mieux faire du partage de revenus. Et il vaut mieux (et là je m'adresse aux médias traditionnels), sans forcément changer sa manière de produire du contenu, essayer d'avoir cette démarche marketing quand on produit du contenu, simplement pour prendre en compte les informations que l'Internet peut fournir. Cela dit, pour être clair, pour nous c'était une erreur. Et l'erreur, c'est d'avoir voulu devenir éditeur. Parce que même si nous avons mis en place tous les processus de modération que l'on peut imaginer, nous n'avons pas un ADN d'éditeur. Nous sommes des fabriquants d'outils. Par exemple nous fabriquons la plus grosse plateforme de blogs en Europe (Overblog), mais c'est juste un outil pour les gens qui veulent publier. Ce ne sont pas nos contenus, ce sont les contenus des blogueurs. Et par ailleurs nous sommes  avec e-Buzzing, les spécialistes de la monétisation des contenus, donc de la mise en contact des marques et des réseaux sociaux. Mais, fondamentalement, nous ne sommes pas un éditeur de contenus. En même temps une étude montre la baisse des contributions sur les blogs et sur Facebook, tandis que la participation sur les sites de micro-blogging comme Twitter continue de progresser. Est-ce que les blogs sont sur une pente descendante ? Non, nous ne le constatons pas du tout. Au contraire. La hausse est absolument régulière depuis 5 ans. Il faut se méfier de ce genre de stats, d'abord parce qu'il n'existe pas de stats globales. Mais aussi parce que la grande majorité des tweets sont automatiques. Donc ça fausse les chiffres. Ce que nous voyons c'est que Twitter et Facebook nous amènent de plus en plus de trafic (sur les blogs). Ce que l'on voit aussi c'est qu'il y a un certain type de contenus qui sont moins publiés sur les blogs mais plus sur Facebook, mais ce sont les contenus les moins qualitatifs. Ce sont par exemple les photos de la dernière beuverie du samedi soir. Mais je suis convaincu que le blog c'est la fondation du média social. Je suis convaincu qu'il n'y a pas d'influence sans les blogs. Si on veut être influent il faut avoir un blog. Tu en es un bon exemple ! Effectivement, je ne me vois pas arrêter mon blog. Twitter aide beaucoup, mais Twitter tout seul ne me permet pas de faire passer tous les messages que je veux transmettre. Twitter est d'abord un canal de distribution, comme Facebook. Et donc ça c'est très bien parce que ça permet aux blogs d'accroître leur audience. L'audience globale du groupe se porte très bien, on était à 28,5M de visiteurs uniques en Europe sur Overblog, selon Comscore en juillet 2011. En septembre on sera loin au dessus de 30M. Mais votre véritable business désormais, c'est e-Buzzing. Oui, depuis un certain nombre de mois je suis persuadé que le véritable marché, pour tout ce qui concerne l'influence, la sémantique, l'indexation, ce n'était pas le B to C avec Wikio mais le B to B avec e-Buzzing et avec les marques. Depuis 18 mois on a intégré quasiment toutes les technologies Wikio  au service des marques. Aujourd'hui quand on fait une campagne, par exemple quand on diffuse une pub vidéo virale pour une marque, on est capable d'exploiter les technologies Wikio que quasiment personne n'a sur le marché. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on est capable d'identifier les influenceurs pour cette marque. De proposer aux blogueurs concernés  ou aux gens qui sont influents sur Facebook ou Twitter de participer à la campagne de manière ciblée. Derrière on est capable de traquer tout ce qui se passe dans les réseaux sociaux autour de la campagne : toutes les conversations créées autour de la campagne, est-ce qu'elles sont positives, négatives, qu'est-ce que ça signifie en terme de parts de voix pour la marque par rapport aux concurrents... puisque l'on indexe tout ce qui se publie sur dans les réseaux sociaux, sur les forums, sur Twitter, les blogs etc. Et, in fine, on est capable en fin de campagne de sortir un rapport d'analyse de campagne qui est précieux pour la marque parce que ça va bien au delà des données purement qualitatives. Quand une marque nous achète une campagne vidéo elle nous achète par exemple 2M de vues. En fin de campagne elle va être très contente de voir qu'on en a généré 3 ou 4 grâce à un effet viral qu'on aura réussi à déclencher, mais elle va être aussi très intéressée par la conversation qui s'est créée autour de sa campagne. Le métier c'est d'abord de délivrer des campagnes à travers les influenceurs et derrière de délivrer toute la mécanique de tracking et d'analyse qui permet de suivre l'efficacité de la viralité de la campagne. Vous n'êtes pas les seuls à faire ça... Oui, mais face à e-Buzzing, les concurrents n'ont pas ou très peu de technologie. Il y a de très bons outils d'e-réputation, mais aucun acteur de la vidéo (comme Goviral), n'a d'outil sémantique comme le nôtre, capable d'analyser l'impact de la campagne de manière aussi fine dans le réseau social. Il y a Google avec YouTube... Non. YouTube fait du quantitatif pur. Combien de vues, de partage... tout le monde l'a. Tu viens de lever 17M€. Que vas-tu faire avec tout cet argent ? Ce que nous allons faire, c'est consolider le marché du social video advertising autour de nous en Europe. Le groupe est-il rentable aujourd'hui ? Non, nous sommes encore en plein investissement. Mais le chiffre d'affaires devrait passer de 10M€ en 2010 à 18M€ en 2011. Nous sommes présents dans les principaux pays d'Europe avec des bureaux en France (environ 75 personnes sur un effectif total de 160), en Allemagne, en Angleterre, en Italie et en Espagne. Aujourd'hui, avec 60M de VU (notre réseau d'influenceurs, dont Overblog qui fait 30M), on est dans le TOp 3 des réseaux les plus puissants en Europe, après YouTube et Dailymotion. Mais je pense que notre croissance est plus rapide.
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