Pourquoi le "brand content" et "native advertising" sont des chances pour les médias, les marques... et les consommateurs
C'est le "buzzword" du moment : le "native advertising" est devenu le nouveau graal pour les médias aux Etats-Unis. Au point d'en inquiéter certains qui n'hésitent pas à parler de "relations incestueuses" entre médias et marques et dénoncent un un risque de confusion des genres.
De quoi s'agit-il ? Le "native advertising" est une forme évoluée de publicité proposée par certains médias Internet. Au lieu de publier une bannière, une publicité, ou du contenu parlant des produits d'une marque, le média propose une solution inspirée du journalisme participatif : elle crée ou publie des contenus informatifs ou divertissants signés par la marque. On ne parle pas de la marque, ni du produit. On parle d'un sujet censé intéressé la communauté ciblée par la marque. C'est du "brand content" (contenu de marques) mais qui ne parle pas forcément de la marque.
Les médias n'ont pas inventé ce courant, mais ils ont réalisé que s'ils ne faisaient rien, les marques allaient peu à peu se passer d'elles et créer leurs propres médias.
Avec Internet, les marques ont donc de plus en plus tendance à devenir médias. Ce n'est pas nouveau non plus (les marques ont toujours créé des magazines ou des pastilles en TV), mais le phénomène s'accentue. C'est une des conséquences du "web 2.0." des années 2000-2010 : puisque tout le monde devenait média grâce aux blogs, vlogs et aux réseaux sociaux, les marques devaient trouver leur place.
Pourquoi ? Tout d'abord parce que si elles ne prenaient pas la parole, ce sont les autres qui parleraient d'elles de toute façon.
Ensuite, elles se sont rendu compte que parler de leurs produits n'était plus aussi efficace qu'avant. Effectivement parce que les utilisateurs s'en chargaient déjà sur les réseaux sociaux. Mais aussi parce que ces derniers cliquent de moins en moins sur les publicités.
Par contre les consommateurs sont assez sensibles à l'imaginaire des marques, qui font partie de leur univers culturel et intime.
Or, les marques ont besoin de partager un imaginaire commun avec leurs consommateurs.
Pourquoi ?
- Pour créer des défenseurs de la marque parmi leurs consommateurs.
- Pour générer une audience fidèle parmi ses lecteurs/vidéo-spectateurs, et se constituer éventuellement une base de données qu'elle pourra transformer en CRM (CRM comme Customer Relationship Management, c'est à dire le "management de la relation client").
- Pour gagner en influence.
- Pour mieux maîtriser son univers de marque.
- Mais aussi pour mieux comprendre les consommateurs : leur imaginaire, leurs centres d'intérêt, les contenus qu'ils partagent etc.
En gros, de plus en plus de marques sont en train de comprendre que, sur le digital, il fallait passer d'un marketing descendant traditionnel par un marketing "empathique" en interaction permanente avec leur audience.
Et pour mieux connaître sa communauté,il faut générer des interactions. Et pour générer des interactions, il faut créer du contenu. Et pour créer du contenu, il faut devenir média.
Par exemple Redbull va produire des contenus sur le sport extrême, IBM va parler de cloud computing, Oasis va inventer un monde rigolo où les fruits sont vivants et mènent leur propre vie, Schweppes va créer un site de recommandation de lieux pour sortir à Paris et faire travailler 4 journalistes à plein temps etc.
On appelle ça le "content marketing" (marketing du contenu), ou le "brand content". Les investissements dans ce domaine ont dépassé les 16 milliards de dollars aux Etats-Unis l'an passé.
Il est donc tout à fait compréhensible que les médias se soient intéressés à ce marché. Pour ne pas voir ces investissements leur échapper : Redbull compte plus de 3 millions d'abonnés sur sa chaîne, bien plus que ne pourrait lui offrir n'importe quel média. Mais aussi parce que les médias, qui ont réussi à fédérer des communautés ciblées autour du contenu, sont sans doute les mieux placés pour aider les marques à toucher leur audience.
C'est aussi un marché juteux, plus de 3 milliards de dollars pour ce qu'on appelle le "native advertising" (du brand content proposé par les médias aux marques sur leurs plateformes). Une campagne de native advertising peut se vendre entre $70.000 et $150.000 par mois (pour une dizaine d'articles). C'est la piste la plus sérieuse pour palier la chute des revenus publicitaires en ligne sur les médias.
Faut-il s'en inquiéter ? On pourrait craindre, comme l'a fait récemment la FTC (Federal Trade Commission, un organisme gouvernemental américain censé défendre les consommateurs) que la confusion des genres engendrée par ce nouveau type de contenus est un risque potentiel pour le consommateur. Pourquoi ? Parce que ce dernier risque de prendre pour une information un contenu "publicitaire" acheté ou écrit par une marque. Une étude récente montre que 49% des consommateurs comprennent que ces contenus générés par les marques ont un objectif marketing, mais que 29% ne s'en rendent pas compte.
Effectivemment, si l'on devait parler du produit ou du secteur économique dans lequel exerce la marque (par exemple une marque de soda qui parlerait des bienfaits du sucre). Mais ce n'est pas dans l'intérêt des marques (même nombre d'entre elles ont du mal à parler d'autre chose que de leur produits). L'objectif est de rendre un service à la communauté, de distraire ou de l'enrichir en lui apportant des informations utiles.
De plus, les médias pionniers dans ce nouveau type de publicité, comme Forbes, Mashable, Buzzfeed ou, plus récemment, le Washington Post ou le Wall Street Journal, rétorquent que les articles produits sur leurs sites sont clairement identifiables : ils sont souvent marqués d'une couleur différente sur la page d'accueil, et sont de toute façon signés par la marque.
Alors, qu'en penser ? Si je suis d'accord pour dire qu'il faut faire attention à bien clarifier l'origine et la nature du contenu, je ne crois pas que le consommateur soit perdant dans cette nouvelle tendance. Au contraire.
Pourquoi ?
Tout d'abord parce qu'en partageant des informations et/ou des émotions avec son audience, la marque apprend à mieux connaître sa communauté. Et donc à améliorer, in fine, la qualité du produit. Je pense même que dans quelques années, le marketing ne suivra plus le lancement du produit, mais qu'il servira en amont, à créer de nouveaux produits. On n'y est pas encore. Mais on s'y dirige. Une sorte de marketing de l'empathie.
Mais attention, on ne travaille pas sur l'imaginaire au détriment du produit. Le marketing, c'est le produit. S'il est mauvais, les consommateurs le diront sur les réseaux sociaux. L'imaginaire peut aider un mauvais produit à percer (c'est le thème de l'ouvrage de référence : "No Logo", qui parle de l'effet de rejet des marques dû à un excès de marketing autour de produits de mauvaise qualité).
Si le marketing c'est le produit, il faut l'améliorer. Et pour l'améliorer, il faut mieux comprendre le consommateur. Et pour mieux le comprendre, il faut échanger avec lui. Pas forcément sur le produit (comme disait Steve Jobs, les consommateurs ne savent pas forcément ce qu'ils veulent), mais sur ce qui les intéresse.
Les marques peuvent de moins en moins tricher avec leurs consommateurs. Parce que tout le monde, aujourd'hui, devient média. Blogueurs, Youtubeurs, influenceurs sur Twitter, tous sont consommateurs. Influençables, certes, mais aussi influenceurs, et de plus en plus puissants. Même les salariés de la marque ont la possibilité de relayer positivement ou négativement ce qu'ils vivent dans l'entreprise. Internet a beaucoup de défauts, mais il a aussi le mérite d'entraîner les entreprises vers plus de transparence et d'éthique. C'est plus compliqué pour une multinationale. Mais de plus en plus de start-ups construisent aujourd'hui leur croissance sur des valeurs forte et sur une volonté d'améliorer le monde. Elles seront les multinationales de demain.
Elles n'ont pas vraiment le choix. Même si d'aucuns pourraient être tentés de "manipuler" l'opinion. Justement en devenant média. Mais la complexité du réseau rend ce type de stratégie de plus en plus difficile. Et dangereuse à terme. Parce que le web est par essence incontrôlable. A chaque fois qu'on a le sentiment qu'il se ferme (lire à ce propos "The Filter Bubble" d'Eli Pariser), il y a de nouvelles portes cachées qui s'ouvrent (Eli Pariser a créé "Upworthy", un média de recommandation qui permet justement de sortir de cette bulle). Parce que les têtes de réseau sont de plus en plus nombreuses.
En devenant média, les marques génèrent plus d'interactions, deviennent plus empathiques, et donnent plus de pouvoir à leurs communauté dans la construction de la marque et, à terme, dans l'amélioration de leurs produits.
C'est en tout cas la vision que je partage. Et que nous partageons chez Trendsboard, la start-up que j'ai fondée il y a quelques mois avec l'équipe du chercheur Jean Véronis. Nous travaillons à fournir des outils éthiques permettant aux médias en tout genre (médias, marques, et demain l'ensemble des internautes) de mieux comprendre ce qui passionne leurs communautés pour parvenir à les toucher et s'installer avec elles dans une relation pérenne et enrichissante, qui profitera à tout le monde. Il ne s'agit surtout pas de suivre les tendances. Les tendances ne font que passer. Mais d'intégrer les tendances parmi d'autres éléments cognitifs et, grâce au big data et à la sémantique, d'augmenter la connaissance que nous avons de nos communautés.
C'est sur cette base que les marques et les médias parviendront à être de plus en plus créatifs. Et être le plus utile possible à leur audience.